A Tanger, il n'y a pas beaucoup de solutions pour les jeunes filles : c'est le chômage, le travail dans les usines textiles de la zone franche ou le décortiquage des crevettes. Badia est ce qu'on appelle une fille-crevette : toute la journée, elle est assise dans une grande salle à la lumière blanche où elle s'occupe des crevettes avec des gestes mécaniques. Le problème, c'est l'odeur : Badia ne la supporte pas et se frotte désespérément, pour essayer de faire passer cette abominable puanteur. Avec Imane, son amie, elle tente de donner un peu de sens à sa vie. La rencontre avec deux autres filles, des textiles, va apporter un peu de piment. Et quelques larcins apportent du beurre dans les épinards.
Sur la planche est un film qui prend aux tripes. Les premières scènes mettent immédiatement dans le ton : le spectateur est pris à parti par la logorrhée de Badia, qui parle avec un débit impressionnant et un accent marqué. La caméra suit l'énergie du personnage principal : tourbillonnante, elle ne laisse pas de repos. Puis le film se pose : on découvre alors l'histoire de ces jeunes femmes, obligées de travailler pour payer leurs logements miteux en location. Dans le rôle de Badia, la jeune Soufia Issami est très convaincante et la mise en scène de Leïla Kilani permet de concilier l'intrigue (une simple histoire d'arnaque et de vol) et description du Maroc contemporain.
Car outre l'histoire édifiante des personnages, le plus du film est de donner à voir la vie à Tanger. Ville en pleine expansion économique, elle est un lieu d'immigration pour les marocains, qui quittent les autres villes pour y trouver du travail. Les intérêts économiques sont protégés dans la zone franche, où les allers et venues sont contrôlés par les autorités policières. Les conditions de travail difficile des ouvrières ne les protègent toutefois pas des conséquences de la mondialisation : les délocalisations pour l'Asie ne les épargnent pas.
C'est un film pour lequel il faut être en forme : l'intrigue n'est pas totalement linéaire et m'a laissé perplexe (même s'il
est assez facile de faire des hypothèses plausibles sur ce qui se passe une fois le générique de fin débuté) et la caméra ne ménage pas le spectateur. Mais c'est un film qui mérite cet effort
initial, car il est déroutant et riche.