Lire un ouvrage dans la ville où l'action se passe, c'est toujours une expérience étonnante. C'est d'autant plus intéressant dans le cas de Requiem, qui emmène le
lecteur dans une promenade onirique à travers Lisbonne, par un dimanche torride.
Comme dans un rêve, l'intrigue est une suite d'épisodes qui, s'ils ont une certaine logique, peuvent paraître décousus. Ainsi, en une journée, le héros-narrateur traverse toute la ville, allant des quartiers historiques du centre-ville aux bords du Tage, avec une excursion en train vers les plages à l'ouest. Les rencontres sont nombreuses, diverses et entraînent le narrateur vers un rendez-vous qu'il attend ardemment avec un mystérieux visiteur, à minuit.
On suit cet inconnu, passé en un instant d'une ferme de l'Alentejo aux faubourgs de Lisbonne par la magie du rêve, avec un grand plaisir. Si le fond est onirique, le tout est empreint d'un certain réalisme, ce qui donne une touche paradoxale à l'ensemble de l'ouvrage. Par exemple, le narrateur est obligé de rendre visite à une vieille gitane pour acheter des chemises de rechange, les siennes étant détrempées par la sueur.
On ne cesse de passer d'un épisode réaliste à une histoire fantasmée. Au fil du récit, on passe un moment au bar du musée des Arts Antiques de Lisbonne, où le barman veut absolument faire goûter au narrateur un cocktail de sa composition. On visite également le musée, avec un arrêt devant un tableau de Jérôme Bosch, La tentation de Saint-Antoine (très beau tableau, par ailleurs), où le narrateur entame une longue conversation avec un peintre copiste, autour du thème du détail.
L'alimentation occupe également une place importante. Le narrateur ne cesse de manger, le plus souvent des plats typiques de la région de l'Alentejo, au sud du Portugal, qui doit notamment sa renommée à son plat typique qui mêle porc et palourde (un vrai régal !). D'ailleurs, une grande partie des personnages rencontrés sont eux aussi originaires de cette région. Une coïncidence digne de celle des rêves longs et complexes !
Mais le point culminant du roman est la rencontre de la fin de la nuit. Le narrateur la passe avec son hôte mystérieux, qui par ses références et son discours évoque irrésistiblement Fernando Pessoa, le plus célèbre des écrivains lisboètes. La figure tutélaire des lettres portugaises est ici au service du récit et finit par donner à cette promenade hallucinatoire une force et une vigueur tout à fait mémorable.
Requiem - Une hallucination d'Antonio Tabucchi
Traduit du portugais par Isabelle Pereira avec la collaboration de l'auteur
Ed. Christian Bourgois (ou 10/18 en poche)