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1 mars 2013 5 01 /03 /mars /2013 09:31

Passer une petite semaine de Lisbonne, c'est l'occasion de plonger un peu dans la littérature portugaise. Je l'ai donc saisie, cette occasion, pour découvrir des ouvrages des grands auteurs portugais.

 

Cain.jpgCommençons par le plus réputé des auteurs portugais récents, récompensé par le Prix Nobel : José Saramago. J'avais été épaté par L'aveuglement, ouvrage où il imagine une société où la cécité se répand de manière contagieuse. Dans Caïn, c'est une toute autre approche. Il reprend le personnage biblique, auteur du meurtre de son frère Abel, et lui fait traverser, par un moyen un peu magique, les grands épisodes de l'Ancien Testament. On retrouve donc Caïn, avec sa mule, au pied de la tour de Babel, où il apprend pourquoi Dieu à inventer les langues. Il se trouve également sous les murailles de Sodome et Gomorre, où il s'étonne de la manière dont Dieu décide de punir toute une population pour ses crimes, y compris ceux que Caïn estime innocents comme les enfants. De manière générale, le ton iconoclaste et anti-clérical de l'ouvrage est omniprésent. Dieu est vu par les yeux de Caïn comme un être cupide, méchant, rancunier, qui n'hésite pas à demander la mort, que ce soit pour les adorateurs du veau d'or ou pour le fils d'Abraham, sauvé au dernier moment par le bras de Caïn. Le tout se finit dans une grande scène à bord de l'arche de Noé, où Caïn va tout faire pour donner un autre sens à la punition divine.

 

Ce qui est fort avec Saramago, c'est qu'il est capable d'écrire sur presque tout et d'emporter le lecteur. Saramago a une verve et un humour assez déroutant, même sur un sujet a priori sérieux comme l'Ancien Testament. Et j'ai retrouvé avec bonheur son écriture, ses longues phrases qui se lisent sans difficulté, ses dialogues originaux. Bref, j'ai pris beaucoup de plaisir avec ce texte posthume de l'auteur portugais.

 

monsieur-calvino.jpgPlace maintenant à un auteur de la nouvelle génération, une des plumes présentées comme les plus prometteuses des lettres portugaises, Gonçalo M. Tavares. L'auteur a décidé d'imaginer un quartier (le bairro) où sont rassemblées les plus grandes artistes : Rimbaud partage le même immeuble que Balzac et Lewis Carroll, et leurs voisins sont, entre autres, Warhol, Beckett, Pessoa ou Proust. Ce quartier est, comme indiqué en début d'ouvrage, "comme le village d'Astérix, [...] un lieu où l'on tente de résister à la barbarie". Ici, il imagine la vie de Monsieur Calvino, un homme un peu lunaire, d'une imagination débordante, peu à l'aise avec le monde réel. Par exemple, son lit, trop petit, lui pose problème : soit c'est sa tête, soit ce sont ses pieds qui dépassent. Du coup, il est obligé de dormir de travers. Ce sont de courtes histoires, absurdes, comme ce jeu avec Duchamp pour lequel ils inventent la manière de compter les points à la fin de la partie. C'est un petit ouvrage très distrayant, surprenant par les chemins qu'il emprunte. Ce n'est pas une biographie de Calvino, ni même une approche de son oeuvre, mais plus un jeu littéraire, construit à partir des ouvrages de l'auteur italien.

 

courts-metrages.jpgPetit détour, enfin, par la figure tutélaire des lettres portugaises, celui qu'on ne peut que difficilement rater en se promenant dans Lisbonne, sa statue trônant au coeur du quartier historique, assis à la terrasse de son café préféré, Fernando Pessoa. Je suis rentré dans son oeuvre par une toute petite porte, un tout petit recueil qui rassemble quatre projets de courts-métrages imaginés par Pessoa. L'ensemble est très court, les courts-métrages sont plus ou moins développés (sauf moins que plus), laissant une grande liberté au lecteur pour imaginer l'oeuvre finale. L'un d'entre eux, le plus abouti, imagine un jeu d'échanges d'identités involontaire assez surprenant. C'est vraiment un tout petit opus, certainement pas suffisant pour dire "je connais Pessoa" mais suffisant pour poser avec lui en terrasse tout en discutant d'un de ses ouvrages !

 

Caïn de José Saramago

Traduit du portugais par Geneviève Leibrich

Ed. du Seuil

 

Monsieur Calvino et la promenade de Gonçalo M. Tavares

Traduit du portugais par Dominique Nédellec

Ed. Viviane Hamy

 

Courts-métrages de Fernando Pessoa

Présenté et traduit du portugais par Patrick Quillier

Ed. Chandeigne

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25 février 2013 1 25 /02 /février /2013 23:14

django-unchained.jpgTarantino est un grand cinéphile. Dans Django Unchained, à l'instar des frères Coen dans leur dernier film, il s'attaque au western, grand genre du cinéma américain s'il en est. Mais son inspiration, il la trouve également dans le western spaghetti, porté à son sommet par les réalisateurs italiens. Pour son Django, il s'inspire, de loin, du film de Sergio Corbucci, intitulé lui aussi Django. Mais Tarantino y apporte sa touche, pleine de fougue, de jouissance et de sang qui gicle.

 

django.jpgLe film de Corbucci, avec pour figure centrale un cow-boy solitaire qui traîne derrière lui un intrigant cercueil, est de facture assez classique dans son intrigue (une affaire de vengeance sur fond de guerre entre américains et mexicains) mais se distingue par Django. C'est un homme seul, sensible aux injustices faites aux femmes, mais dont le seul but est de venger la sienne, de femme. C'est un film agréable à voir, notamment pour voir comment un homme seul peut descendre presque d'un seul coup un groupe de quarante adversaires, mais qui reste dans le genre très classique du western spaghetti.

 

Malgré le titre du film, le générique et Franco Nero, qui joue un petit rôle, Quentin Tarantino s'éloigne très vite de la référence de Corbucci. Il garde bien entendu certains aspects comiques liés aux éxagérations du genre : le sang qui gicle dans tous les sens ou les morts qui s'accumulent, en particulier lors d'une scène finale assez sanglante. Mais Tarantino se plonge également dans l'histoire américaine en intégrant un thème très original dans le western : l'esclavage des noirs dans le Sud des Etats-Unis.

 

Django (Jamie Foxx) est un esclave noir qui obtient sa libération grâce à un dentiste d'origine allemande (Christoph Waltz), devenu chassseur de primes. A deux, ils sillonnent l'Ouest américain, les montagnes enneigées, les déserts, pour tuer ceux qui sous le coup d'un avis de recherche rémunéré, mort ou vif. Mais finalement, ces deux personnages, on les oublie assez vite, tellement Tarantino arrive à donner de l'ampleur et de la folie à des scènes mémorables. Dans le rang du comique, il y a notamment une scène très drôle autour de gars déguisés en types du Ku Klux Klan qui ont du mal à utliser leurs cagoules. Difficile, lors de cette scène, de ne pas penser aux Monty Python !

 

Mais Tarantino est également un excellent directeur d'acteur, emmenant les plus connus dans des rôles surprenants et inattendus. Après Brad Pitt dans Inglorious Bastards, c'est Leonardo Di Caprio qui trouve ici un rôle mémorable de propriétaire terrien sans scrupule ni compassion pour personne. A ses côtés, Samuel L. Jackson est également au sommet dans un rôle de domestique noir plus raciste que les blancs.

 

Alors, le petit bémol que j'ai pour ce film, c'est le recours à la violence un peu trop fréquent chez Tarantino, que j'avais trouvé un peu atténué dans Inglorious Bastards. Ici, une scène de bagarre à mains nues, très violente, ou un lynchage d'esclaves par des chiens, sont assez clairement de trop. Néanmoins, le reste du film est d'une telle énergie, provoque une vraie joie et de vrais rires, et tout cela l'emporte sur les quelques scories violentes. Et voir Tarantino se faire exploser dans son propre film est bien la preuve du recul qu'est capable de prendre le réalisateur pour donner du plaisir au spectateur. Et c'est très réussi !

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21 février 2013 4 21 /02 /février /2013 08:06

viviane-elisabeth-fauville.jpgVoilà un ouvrage qui me laisse un peu dans l’expectative. J’en ai apprécié l’intrigue, j’y ai ressenti le travail stylistique, mais j’ai l’impression d’être passé en partie à côté de ce dernier. Un peu comme si j’avais lu ce roman mais que je n’en avais pas apprécié l’entière saveur.

 

Viviane Elisabeth Fauville est le nom de l’héroïne. C’est une femme déstabilisée par la rupture d’avec son mari, par cet enfant dont elle ne sait pas toujours quoi faire. Son trouble est tellement fort que dans un accès d’inconscience, elle tue son psychanalyste avec un couteau. Viviane a du mal à reconstituer le fil des événements qui l’ont amené à cet acte funeste et se renseigne dans les journaux sur la progression de l’enquête.

 

L’ouvrage est assez original dans sa construction, s’orientant parfois dans le roman noir sans y entrer pleinement (comme de nombreux romans publiés aux éditions du Minuit, notamment les premiers Robbe-Grillet). Viviane est en effet obligée de se rendre au commissariat pour les interrogatoires, elle reconstruit l’histoire de cet homme pris entre une femme qui a quitté le domicile conjugal et une jeune maîtresse. Mais finalement, cette intrigue policière n’a que peu d’importance, étant donné qu'on connaît le meurtrier. Sans faire grand chose ni preuve d’un grand machiavélisme, Viviane parvient toujours à se sortir des situations inconfortables dans lesquelles la met l’enquête.

 

Le cœur de l’ouvrage, c’est ce personnage féminin, parfois tourmenté, en même temps pragmatique, souvent peu soucieuse des enjeux de ses actes. Ainsi, pour pouvoir vaquer à ses occupations sans être gênée par l’enfant, elle n’hésite pas à l’endormir avec des médicaments. Mais ma lecture a certainement été influencée par les souvenirs d’une précédente, où une femme était elle aussi aux prises avec son psychanalyste et des troubles plus ou moins prononcés. Et j’ai un souvenir tellement fort de Sollicciano, d’Ingrid Thobois, qu’il a un peu pollué mon approche de cet ouvrage, beaucoup moins labyrinthique et tortueux.

 

Surtout, j’ai l’impression, quelques jours après avoir fini Viviane Elisabeth Fauville, qu’il faudrait le reprendre pour disséquer les choix stylistiques de l’auteur (en particulier de narration). Ils sont certainement très importants dans l’évolution de l’intrigue et du personnage, ont participé à mon plaisir de lecture (qui a été réel) mais je n’en prends conscience que tardivement. Un livre à reprendre et à déguster d’une autre façon, visiblement.

 

Viviane Elisabeth Fauville de Julia Deck

Ed. de Minuit

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18 février 2013 1 18 /02 /février /2013 08:01

un-ecrivain-un-vrai.jpgGary Montaigu a tout pour être comblé : il vient de recevoir l'une des plus grandes distinctions littéraires de Etats-Unis, et une chaîne de télé l'a sollicité pour devenir le héros d'une émission de télé-réalité. C'est, pense-t-il, le début de la gloire. Mais peut-on réellement préserver son intégrité d'écrivain en se prêtant au jeu de la médiatisation à outrance ? C'est ce dilemme que donne à lire Pia Petersen dans ce très agréable roman.

 

La littérature à la télévision, c'est souvent une histoire compliquée. Si, en France, Bernard Pivot reste le modèle indépassable pour de nombreux téléspectateurs, il est bien difficile de rendre par l'image et le temps télévisuel le travail, la beauté et la magie de la littérature. En participant à cette émission de télé-réalité montrant un écrivain au labeur, se battant pour faire avancer son roman et ses personnages, Gary est persuadé de réussir à montrer la valeur de la littérature. Soutenu par Miles, le producteur, et Ruth, sa femme, il s'engage dans le projet de façon très optimiste. Trop optimiste.

 

Car rapidement, les belles intentions du programme tombent à l'eau. D'abord, comme écrivain, Gary perd tout libre arbitre par rapport à son roman. Les évolutions des personnages et de l'intrigue sont soumises à l'approbation des spectateurs, qui se prononcent grâce à un système de j'aime, je partage. Gary se transforme en scribe des desiderata des votants, perdant la main sur son histoire. Mais ce n'est pas seulement l'écrivain qui intéresse le producteur : Gary est poursuivi jour et nuit par la caméra de Brandon, qui ne le lâche pas d'une semelle. Et comme dans toute émission de ce genre, il faut bien une histoire croustillante d'adultère. C'est là qu'entre en scène Alana, journaliste, qui devient pour l'émission et à son grand plaisir la maîtresse de Gary.

 

Seulement, tout cela ne fonctionne pas longtemps. Gary ne supporte pas la perte de son autonomie et le dit de plus en plus clairement lors de ses confidences face à la caméra. Cette sensation d'être toujours sous l’œil de la caméra l'insupporte et le rend irritable. Il doit surtout faire face à sa femme, opportuniste, attirée par l'argent de l'émission qui permet de compenser les maigres rentrées pécuniaires de son mari romancier. Machiavélique, sans scrupules aucun, elle incarne face à Gary rêveur, idéaliste et épris de liberté la figure de l'arriviste, pour qui tous les moyens sont bons. Ces deux personnages opposés donnent au roman une grande partie de sa saveur.

 

Il faut ajouter à cela que Pia Petersen utilise une très habile construction pour rendre son intrigue addictive. Rapidement, le lecteur comprend que cette émission n'est pas une réussite, et ne saisit les raisons de cet échec que progressivement. Tout cela mène à une grande scène finale où Gary, qui tente d'échapper aux caméras constamment braquées sur lui, se promène en ville. C'est une scène très bien rendue, très cinématographique, qui finit d'embarquer le lecteur dans cette réflexion ludique et intrigante sur la place de l'écrivain dans la société médiatique contemporaine.

 

Un écrivain, un vrai de Pia Petersen

Ed. Actes Sud

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15 février 2013 5 15 /02 /février /2013 11:52

moissons-du-futur.jpgL'agriculture sans pesticides et sans intrants chimiques extérieurs est-elle possible ? Surtout, permettrait-elle de nourrir la planète ? C'est en participant à un débat avec le ministre de l'agriculture, Bruno Le Maire, et le président de l'association nationale des sociétés alimentaires, qui défendaient une réponse négative, que Marie-Monique Robin a eu l'idée de cet essai. Car après avoir enquêté sur Monsanto et sur les poisons au quotidien, elle est persuadée que l'agriculture intensive et chimique n'est pas une réponse appropriée.

 

Alors, est-il possible de nourrir toute la planète en faisant une agriculture propre ? Pour les défenseurs des engrais et de la productivité, la raison principale de l'échec de cette agriculture sans apports extérieurs est liée à la diminution irrémédiable des rendements. Avec une population qui s'accroit, c'est selon eux intenable. La journaliste, en parcourant la planète et en rendant compte de diverses expériences, essaie de prouver le contraire, et y parvient avec brio.

 

Au niveau théorique, elle s'appuie sur les travaux des rapporteurs de l'ONU pour le droit à l'alimentation, Jean Ziegler, puis Olivier de Schutter. Ils défendent l'idée que la politique agricole menée aujourd'hui par l'ONU et son antenne spécialiste des questions d'alimentation, la FAO, ont pris le mauvais chemin. Leurs rapports sont cinglants et démontrent, exemples à l'appui, que toutes les expériences issues de la révolution verte (mécanisation à outrance, productions aux rendements élevés, utilisation massive et irraisonnée d'engrais) sont des échecs : le niveau de production a baissé, les paysans n'ont plus les moyens de vivre de leur travail et les famines n'ont pas disparu.

 

Marie-Monique Robin part à la rencontre de ces agriculteurs qui ont choisi des voix alternatives pour produire. Comme ces paysans du Mexique, qui ont abandonné la monoculture du maïs pour revenir à la pratique ancestrale de la milpa. Le principe est de mélanger sur une même parcelle du maïs, des haricots et des courges. L'eau est retenue plus facilement au sol, ombragé par les feuilles de courge. Les parasites s'attaquent un peu à chaque type de récolte, et ne détruisent pas systématiquement toute une plantation. Et les paysans bénéficient d'une alimentation diversifiée.

 

Son voyage au Malawi est également très enrichissant. Elle découvre comment l'association de différentes plantes permet d'offrir des protections naturelles face aux insectes. Ces derniers sont attirés par les plantations en bordure de champ et n'attaquent pas les plants de maïs. Ces différentes techniques permettent aux paysans de vivre et même de vendre une partie de leur production.

 

Mais la journaliste ne se limite pas aux pays en voie de développement. En Allemagne, elle va à la rencontre des précurseurs de la biodynamie, pratique naturelle qui intègre les phénomènes cosmiques. Une de leur théorie est que le labour est une hérésie, source de fragilité, de stérilité et d'érosion des sols. Ils laissent se développer un humus aux pieds des plantes qui crée une terre fertile, aérée et pleine de vie. Et ceci permet  aux cultures de mieux résister en cas d'événements climatiques inhabituels, qui sont relativement nombreux et dévastateurs pour l'agriculture conventionnelle.

 

Par ce tour du monde agricole (Marie-Monique Robin se rend également aux Etats-Unis ou au Japon, pour rencontrer les héritiers du l'inventeur du concept des AMAP), elle donne à voir la diversité des pratiques agricoles, mises à mal par les industriels qui brevètent les semences à tour de bras. Elle n'oublie pas non plus, dans la seconde partie de l'ouvrage, de replacer tout cela dans une perspective plus large. Si certaines grandes fondations humanistes, comme la fondation Bill Gates, s'engagent dans le développement de l'agriculture en Afrique, ce n'est pas seulement pour le bien-être humain. Car ces fondations ont des liens financiers avec les semenciers, et les techniques agricoles prônées sont loin d'être les plus efficaces. De même, les traités de libre-échange, notamment en Amérique du Nord, sont dramatiques pour les petits paysans qui ne peuvent pas faire face aux conditions imposées par les firmes. C'est ainsi que l'ALENA a conduit à la famine une partie du monde rural mexicain.

 

Face au discours ambiant qui claironne que le bien-être passe nécessairement pas des évolutions techniques et qu'il ne faut pas être rétif à l'inconnu, cet essai est une formidable source d'inspiration pour se rendre compte qu'il faut parfois dire stop. L'agroécologie, concept plus large que la seule agriculture biologique, est une vraie science qu'il faut maîtriser et le vivant, plus vivace et inconnu que la technique, est une mine inépuisable de connaissances. C'est en partant du vivant que l'être humain pourra continuer à vivre correctement sur Terre, pour lui et ses congénères, mais aussi pour ses descendants. Alors, cela passe certainement par une moindre consommation de viande, une modification de nos habitudes alimentaires, mais il parait évident que seul le collectif permettra de résoudre les défis qui se posent à l'humanité. Marie-Monique Robin signe une nouvelle fois une enquête primordiale et passionnante sur un des aspects essentiel de la vie humaine : comment nourrir la planète correctement ?

 

Les moissons du futur, comment l'agroécologie peut nourir le monde de Marie-Monique Robin

Ed. Arte - La découverte

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7 février 2013 4 07 /02 /février /2013 21:48

Parce qu'il n'y a pas que les films que je ne prends plus le temps de chroniquer longuement, voici une petite séance de rattrapage livresque.

 

tour-de-france.gifPour se mettre en jambe, je vous propose une petite promenade à bicyclette avec Albert Londres. Bon, cela risque d'être assez éprouvant, et le titre de l'ouvrage n'est pas mensonger : Tour de France, tour de souffrance. Ce petit recueil rassemble les articles écrits par Albert Londres alors qu'il suivait le Tour de France 1924. Chaque article, assez long, raconte le périple d'une étape parcourue par les coureurs : Brest-Les Sables-d'Olonne, Les Sables-d'Olonne-Bayonne, notamment. Soit des étapes de plus de 400 km pour certaines, avec départ dans la nuit et arrivée le lendemain soir ! Et pas question de croire que les étapes étaient faciles : la traversée des Pyrénées passe par les cols d'Aubisque, du Tourmalet et d'Aspin ! Albert Londres donne à lire toute la souffrance de ces hommes, couverts de poussières, obligés d'effectuer leurs réparations seuls, parfois avec les cailloux du bord de la route pour réparer une chaîne. C'est un effort phénoménal, absolument démentiel, et il n'est pas surprenant de lire que les coureurs sont parfois aidés par quelques substances aux vertus fortifiantes. Ce recueil est passionnant à lire, Albert Londres rendant son récit très vivant grâce à de nombreux dialogues. A recommander à tous les amateurs de vélo !

 

le-quai-de-ouistreham.jpgDe souffrance, il en est question aussi avec Florence Aubenas, dans Le quai de Ouistreham. On quitte ici le milieu du sport pour se plonger dans la vie des précaires, ceux qui sont obligés d'aligner les petits boulots, mal payés, aux horaires impossible, pour espérer (sur)vivre. Suivant le modèle de Günther Wallraff, Florence Aubenas s'est présentée à Caen comme une chercheuse d'emploi, sans expérience. Elle témoigne ici du regard des autres, négatifs, des difficultés à vivre au quotidien les vexations et humiliations, des obligations à accepter des heures supplémentaires non payées pour garder son emploi. Ce que j'ai trouvé très éloquent, c'est que ce monde de précaires est finalement assez refermé sur lui-même : les horaires décalés, le manque d'argent, font que ces salariés ne se mêlent que peu à ceux qui ont des places sûres. C'est vraiment cette frontière invisible qui saute le plus aux yeux à cette lecture, car les problèmes de précarité et les difficultés à trouver un boulot (il ne suffit pas de vouloir !) ne devraient malheureusement surprendre personne. (Ce qui n'est bien entendu pas le cas) Un ouvrage qui a beaucoup fait parlé de lui à sa sortie, et qui mérite d'être lu.

 

la-brebis-galeuse.jpgAscanio Celestini parle aussi, à sa manière de souffrance. Celle des enfants des années soixante (les fabuleuse années soixante, comme il dit), jugés turbulents et qu'on soignait dans les asiles à coups d'électrochocs ou de trépanation. L'histoire contée est multiple. On croise d'abord un jeune narrateur des années soixante, qui raconte sa vie entre l'école avec le curé, la mère folle et l'amoureuse pour qui il mange des araignées. Puis on rencontre Nicola, qui a vécu dans la montagne et est enfermé depuis 35 ans à l'asile. Puis les deux personnages se rencontrent, vivent des aventures dans un supermarché avec une représentante en café,... J'ai apprécié cette lecture, mais je crois que je n'ai pas été bouleversé du fait que je connaissais différents ressorts de cette histoire, ayant vu le film qu'Ascanio Celestini a lui-même réalisé à partir du roman, La pecora nera. L'écriture et la construction de l'ouvrage sont tout de même assez originales et méritent qu'on découvre cet ouvrage.

 

vie-et-mort.jpgEnfin, voici une douleur plus intérieure, j'oserai presque dire une souffrance plus anodine : celle de l'écrivain qui s'ennuie lors d'une rencontre organisée avec son public et qui laisse son esprit divaguer, imaginant des histoires, des rencontres, la fiction se mêlant parfois avec la réalité de ce que vit l'écrivain à l'issue de la rencontre. Vie et mort en quatre rimes, de l'israélien Amos Oz, est un court roman assez plaisant, mais que je qualifierai d'anecdotique en ce qui me concerne.

 

 

Tour de France, tour de souffrance d'Albert Londres

Ed. du Rocher - Motifs

 

Le quai de Ouistreham de Florence Aubenas

Ed. Folio

 

La brebis galeuse d'Ascanio Celestino

Traduit de l'italien par Olivier Favier

Ed. du Sonneur

 

Vie et mort en quatre rimes d'Amos Oz

Traduit de l'hébreu par Sylvie Cohen

Ed. Folio

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4 février 2013 1 04 /02 /février /2013 08:17

ubik.jpgAlors que l'ensemble de la métropole lilloise vient de passer trois mois sous le signe du fantastique, les expositions ont été l'occasion de mesurer l'étendue de mes lacunes en terme de littérature du genre, en particulier la littérature de science-fiction. Qu'à cela ne tienne, je me suis donc plongé dans Ubik.

 

Glen Runciter dirige une société d'anti-psis. L'objectif de ses employés, des neutraliseurs, est de s'opposer aux talents des precogs, capables de voir ce qui va se produire dans le futur, ou aux psys, qui arrivent à lire les pensées de leurs compatriotes. Tous ces talents sont utilisés par les entreprises qui dirigent le nouveau monde, dans le but de tout savoir sur leurs futurs clients. Runciter reçoit une commande importante : il doit envoyer sur la lune ses neutraliseurs les plus efficaces pour contrer une attaque d'une ampleur considérable. Mais ce voyage sur la lune sera bien plus dangereux que prévu.

Voici résumé les premières pages d'Ubik. Il est difficile d'en dire plus, car l'intrigue prend des voies très diverses et parfois tortueuses. Dès les premières pages, on suit Glen Runciter dans un moratorium où il se met en contact avec sa femme décédée et en état de semi-vie. Cette position de semi-vie, où la communication avec les vivants est possible mais l'interaction avec le réel interdite, est au cœur du roman. Runciter y prend des conseils pour diriger son entreprise. Mais le message est parfois troublé par la présence d'êtres négatifs qui tentent de s'imposer, comme le petit Jory, allongé aux côtés de Mme Runciter.

 

Le héros du roman, ou plutôt le anti-héros, est Joe Chip. C'est lui qui donne son avis sur les futurs neutraliseurs. Ici, il est consulté pour donner son avis sur Pat, une jeune surdouée. Mais Joe a des doutes : il ne sait pas si Pat est un atout ou un danger pour la société de Runciter. Chip est à l'opposé du héros qu'on imagine : il est désordonné, incapable d'avoir sur lui la monnaie pour faire fonctionner les appareils qui l'entourent. Mais il est très subtil et comprend beaucoup de choses. Néanmoins, son retour sur Terre après le voyage dans la Lune met à mal tous ses repères. Et ce sont ceux du lecteur qui sont également perturbés.

 

A partir du retour sur Terre, le roman prend une direction très troublante, où tout est bouleversé. Le temps s'écoule à l'envers, avec un retour dans le passé. Les personnages disparaissent les uns après les autres, après une mort et une décomposition subite. Mais tout cela est-il réel ?

 

Philip K. Dick s'amuse avec les repères du spectateur. Si on trouve dans son roman des pages dénonçant le capitalisme et la monétisation du moindre geste quotidien, c'est également un roman qui traite de questions plus métaphysiques, notamment avec l'introduction du concept de semi-vie. Si le début du roman est facilement accessible, la seconde partie est plus complexe. Constamment, je me suis demandé où les personnages se trouvaient. Même si mes repères ont été souvent remis en cause et que je n'ai certainement pas tout saisi (il me reste quelques doutes), j'ai apprécié cette plongée dans cet univers fantastique. Et cela m'a donné envie de poursuivre ma découverte de la science-fiction.

 

Ubik de Philip K. Dick

Traduit de l'anglais par Alain Dorémieux

Ed. 10/18

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31 janvier 2013 4 31 /01 /janvier /2013 11:25

Fréquenter de manière assidue les salles de cinéma fait que je n'ai pas le temps de parler immédiatement de tous les films que je vois. Session de rattrapage pour ce mois de janvier !

 

foxfire.jpgCommençons par le meilleur, en tout cas celui qui m'a fait la plus forte impression et laissé le meilleur souvenir, Foxfire. Premier film de Laurent Cantet depuis sa palme d'or pour Entre les murs, j'ai été voir le film grâce à l'écho favorable qui l'entourait, sans rien en savoir. Et j'ai été totalement happé par cette histoire et par l'énergie dégagée à la fois par le scénario et par l'interprétation. Le dynamisme de toutes les jeunes actrices, non professionnelles, est absolument communicatif et m'a littéralement transporté dans ce film militant, joyeux et parfois cruel. Laurent Cantet rend formidablement les scènes de groupe, notamment celles où les cinq jeunes filles décident de créer leur gang, Foxfire. Si la fin de l'intrigue est un poil attendue (c'est le seul reproche que je ferai au film), j'ai été marqué par de nombreuses scènes : la fuite en voiture, la visite de la chambre  parentale dans la maison bourgeoise, la tirade de haine du banquier envers la menace communiste. Et, c'est peut-être la grande nouveauté chez Cantet, il y a également de l'humour et une très bonne BO. Il a réussi à ne pas faire disparaitre son propos derrière la forme. Un très beau film, que je conseille très vivement.

 

renoir.jpgDans un autre genre, beaucoup plus calme et contemplatif, j'ai apprécié le film que Gilles Bourdos consacre à Renoir. L'énergie n'est plus du tout la même, puisque le réalisateur a choisi de s'intéresser à Renoir âgé, retiré dans sa demeure sur la Côte d'Azur alors que ses deux fils aînés sont sur le Front. La relation ambiguë de Renoir et de son jeune modèle, jeune fille peu farouche, celle de ce même modèle avec le fils de Renoir, Jean, sont bien rendues et donne au film, très lumineux et coloré, une tonalité plus triste. Si on a beaucoup parlé de Michel Bouquet qui revient au cinéma après dix ans d'absence, je tiens à mentionner les prestations de Vincent Rottiers, meurtri par la guerre et en train de découvrir le pouvoir du cinéma, et surtout celle de Christa Théret. Elle incarne ici la jeunesse, non pas insouciante, mais ambitieuse, prête à saisir les occasions pour donner vie à son rêve. Elle confirme tout son talent et devrait s'imposer comme une des grandes actrices des années à venir.

 

rdv-kiruna.jpg

 

Une autre énergie, là encore, est à l'oeuvre dans le film d'Anna Novion, Rendez-vous à Kiruna. On quitte l'espace clos de la Côte-d'Azur pour se plonger dans un road-movie suédois. L'histoire est celle d'Ernest, un architecture reconnu. Il est obligé de se rendre en Suède pour reconnaître le corps d'un fils qu'il n'a jamais vu. C'est l'occasion d'une promenade parfois burlesque (scènes très drôles avec un biker un peu loser), parfois poignante (les retrouvailles d'une jeune homme et de son grand-père) mais toujours touchante. C'est aussi la rencontre entre un architecte assez sûr de lui et un jeune auto-stoppeur qui ne sait pas trop quoi faire de sa vie. Un joli deuxième film de la part de cette réalisatrice, porté par Jean-Pierre Darroussin, comme toujours très juste.

 

 

 

the-master.jpgPuisqu'il est question d'énergie, voici un film où j'ai trouvé qu'il en manquait foncièrement. J'ai bien lu toutes les critiques élogieuses sur le dernier de Paul Thomas Anderson (Magnolia, There will be blood), mais j'avoue ne pas avoir compris ce qui est à l'origine de tous ces compliments. Prise une à une, toutes les pièces du film sont assez intéressantes : les images sont souvent magnifiques, avec un beau sens du cadrage ; la musique de Jonny Greenwood est pertinente ; les interprétations de Philip Seymour Hoffman et Joaquin Phoenix sont remarquables ; le sujet choisi (le rapport de domination au sein d'une secte en création) est intéressant a priori. Mais tout cela mis ensemble m'a laissé très froid. Je ne me suis pas ennuyé une seconde pendant les 2h15, mais je n'ai ressenti que très peu d'émotions. La première demi-heure est réussie (centrée sur le personnage de militaire déphasé incarné par Phoenix) mais dès que la rencontre avec Seymour Hoffman se fait, j'ai trouvé l'ensemble du film assez plat, sans émotion ni beaucoup d'énergie. Je suis donc ressorti assez déçu, non pas par le discours assez obscur du film, mais par le fait que je n'aie pas saisi la subtilité de cette relation et que je sois resté à distance. Peut-être est-ce moi, peut-être est-ce le film (ou les deux), en tout cas, je n'ai pas retrouvé la force de son film précédent.

 

take-shelter.jpgEnfin, petite séance de rattrapage avec le festival Télérama. Outre Margin Call, ce fut l'occasion de voir Take Shelter, de Jeff Nichols. C'est un film que j'ai trouvé très fort, très évocateur, avec un choix très pertinent de représenter la folie/paranoïa par les rêves et les événements météorologiques. Michael Shannon et Jessica Chastain incarnent avec justesse ce couple menacé par les éléments et par la maladie.

amour.jpgRattrapage aussi pour la Palme d'or de 2012, Amour de Michael Haneke. L'histoire est connue (deux personnages âgées dans un appartement bourgeois, la femme est malade). Haneke utilise le huis-clos de façon très poussée, en installant dans cet appartement une intrigue longue, douloureuse, reposant finalement sur très peu de rebondissements. Il n'est pas forcément facile de voir la déchéance physique de cette ancienne pianiste, mais Jean-Lous Trintignant et Emmanuelle Riva sont absolument remarquables dans leurs rôles, soutenus par quelques rares mais très remarquées interventions d'Isabelle Huppert. Un film forcément difficile par le thème qu'il aborde, mais auquel Haneke n'a pas ajouté de lourdeur ou de souffrances inutiles. Une sobriété qui sert le film.

 

Foxfire, Confessions d'un gang de filles de Laurent Cantet (Entre les murs)

Sortie le 2 janvier 2013

 

Renoir de Gilles Bourdos

Sortie le 2 janvier 2013

 

Rendez-vous à Kiruna d'Anna Novion

Sortie le 30 janvier 2013

 

The Master de Paul Thomas Anderson (There will be blood)

Sortie le 9 janvier 2013

 

Take Shelter de Jeff Nichols

Sortie le 4 janvier 2012

 

Amour de Michael Haneke (Le ruban blanc)

Sortie le 24 octobre 2012

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29 janvier 2013 2 29 /01 /janvier /2013 07:39

cendrillon.jpgDe Joël Pommerat, je connaissais le nom sans avoir vu aucun de ses spectacles. J'ai profité de sa bonne réputation pour découvrir son travail à l'occasion de la reprise à Lille de sa vision de Cendrillon. Et je dois bien dire que je ne regrette pas une seconde cette découverte, car Pommerat à réussi à offrir une version totalement décalée et inattendue du conte.

 

Le metteur en scène reprend globalement la trame du conte : une jeune fille, Sandra, sert de servante à sa belle-mère et à ses soeurs. Un jour, elle va au bal organisé par le Roi et fait la rencontre du Prince, dont elle tombe amoureuse. Pommerat reprend l'histoire assez tôt, au moment de la mort de la mère de Sandra, qui pense que sa mère lui demande de toujours penser à elle, ce qui bouleverse toute sa vie. Sandra achète notamment une montre qui sonne toutes les heures, pour ne pas oublier de penser à sa mère. C'ets un de nombreux gags qui parcourt toute la pièce.

 

En effet, de cette histoire sombre avant d'être lumineuse, Pommerat fait avant tout une oeuvre drôle : que ce soit le mélange des époques, la reconstruction des personnages ou les jeux de mots (Sandra se fait surnommer Cendrier). Le plus drôle, c'est la vision que Pommerat donne de Sandra, jeune fille qui a totalement intériosé la culpabilité de la mort de sa mère, au point de trouver légitime de devoir faire toutes les corvées de la maison. La fée est également une belle réussite, avec cette femme refusant d'utiliser ses pouvoirs pour tenter des tours de magie qui échouent tous. Enfin, le prince, jeune homme pleutre, qui trouve de l'aisance uniquement quand il chante du Cat Stevens, est également une belle idée.

 

Sur un plateau nu, j'ai été totalement subjuguée par la rapidité des changements de décors et de costumes de la part des acteurs. Certains personnages jouent deux rôles, et tout cela se fait avec une fluidité extraordinaire, sans aucun temps mort. L'ensemble de la distribution est vraiment formidable, avec des comédiens belges très convaincants (en particulier Catherine Metsoussis dans le rôle de la belle-mère qui m'a irrémédiablement fait penser à Martine Schambacher.)

 

Spectacle pour les adultes qui y verront une belle relecture du conte, mais aussi pour les plus jeunes (disons à partir de 10 ans), qui pourront être surpris de ne pas redécouvrir l'histoire habituelle mais se prendront certainement au jeu de cette vision parfois cruelle mais souvent drôle du conte. Un vrai plaisir !

 

Spectacle en tournée en février à Huy (B), Cherbourg, Welkenraedt (B), en mars à Béziers, Istres, Cavaillon, en avril à Ollioules et Alès, en mai à Lorient et en juin à Paris (Odéon)

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27 janvier 2013 7 27 /01 /janvier /2013 12:00

margin-call.jpgComme cette année 2013 est celle des nouveautés sur ce blog, voici un billet thématique. Car il est parfois des coïncidences qui font qu'un même sujet est tratité dans plusieurs oeuvres vues ou lues en même temps. C'est le cas ici pour l'argent et le rôle des banques, vu sous trois angles : un film américain, un film français en alexandrins et un entretien avec deux sociologues.

 

J'avais raté Margin Call au moment de sa sortie, et le festival Télérama a été l'occasion d'une session de rattrapage. Margin Call (quelle est l'origine du titre ? le film ne donne pas la réponse) est le récit d'une journée dans les services de gestion des risques d'une banque. Pas follement attirant comme postulat, mais quand cette journée est celle où un jeune trader réalise que tout le système mis en place depuis plusieurs années est sur le point de s'effondrer, cela donne lieu à un film haletant et passionnant de bout en bout. Alors, pour ce qui est des explications des mécanismes financiers en jeu, je serai incapcable de les décrire ici, mais ce n'est visiblement pas le but du réalisateur, J. C . Chandhor - dont c'est le premier film -. Son idée est plutôt de montrer comment la banque réagit face aux risques encourus : plutôt que chercher la solidarité auprès des autres acteurs du secteur - ce qui d'ailleurs semble tout bonnement impensable -, le directeur, acculé, décide de sauver les rares meubles qui peuvent encore l'être. Et prend le risque, en voulant sauver le peu qu'il peut de sa peau, de faire s'écrouler l'ensemble du château.

 

Par petites touches, sans grand discours, le metteur en scène décrit parfaitement ce monde cynique, sans scrupule, qui raisonne uniquement en bonus et en stock-options - le personnage du plus jeune trader est de ce point de vue archétypal -. Servi par une belle distribution, avec Kevin Spacey, Zachary Quinto, Penn Badgley ou les retours de Jeremy Irons et Demi Moore - très surprenants et efficaces tous les deux -, le film est une plongée fascinante dans ce monde parallèle de la haute finance. Un vrai coup de maître.

 

Le-Grand-Retournement.jpgAvec Gérard Mordillat, on quitte l'aspect aseptisé des tours de Manhattan pour revenir à une vision plus française et plus originale de l'analyse du rôle des banques dans la crise. Ici, l'action prend place dans une usine désaffectée, lieu des relations de pouvoir entre les banquiers, qui cherchent là aussi à sauver leur peau, et le pouvoir politique, appelé à la rescousse. Si le discours tenu par le film décrit de façon assez ludique et convaincante le mécanisme de la crise - comment les rentiers et actionnaires ont appelé à l'aide la banque centrale et les banques pour sauver leurs positions, ces dernières se tournant vers l'Etat pour défendre leurs intérêts particuliers -, le plus original ici réside dans le traitement choisi par Mordillat. Il s'inspire en effet de la pièce de Frédéric Lordon, consacrée à la crise et écrite entièrement en alexandrin. Mordillat garde donc le choix poétique de l'auteur, ce qui donne un mélange assez plaisant de langue recherchée et de terme bancaire. Car un alexandrin avec le terme titrisation, il ne doit pas y en avoir beaucoup ! Tout ceci donne un film très savoureux, qui joue, là aussi, sur le peu de scrupules des banquiers, prêts à tout pour assurer leurs arrières. La scène où Jacques Weber, banquier, annonce à ses collègues que c'est l'Etat, l'ennemi historique, qui va les sauver, est un moment d'un cynisme terrifiant. Là encore, un très beau casting sert l'ensemble (Antoine Bourseiller, François Morel, Elie Triffault,...). Film à petit budget, réalisé grâce au courage d'une productrice qui a tout financé, il mérite vraiment le déplacement !

 

l-argent-sans-foi-ni-loi.jpgFinissons donc ce billet thématique par un ouvrage si ce n'est plus sérieux, en tout cas plus académique. L'argent sans foi ni loi est un entretien mené par Régis Meyran avec les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, connus entre autres pour leurs travaux sur les riches et leurs relations et Nicolas Sarkozy. Il décrivent comment l'argent est devenu le symbole, dans la société actuelle, de la réussite. Ils dénoncent sa concentration dans quelques mains, alors que la majorité en manque, tout ceci sur fond de dématérialisation de la monnaie, qui a coupé le lien entre le rôle social de l'argent et sa représentation.

 

Cette coupure avec le statut initial de l'argent amène les plus riches à tout faire pour le conserver, souvent à l'encontre du bien commun, par l'utilisation de roublardises fiscales. Malgré les discours tenus par les politiques - sur la moralisation du capitalisme financier ou sur le fait que la finance est l'ennemi, pour reprendre les termes des deux derniers présidents de la République -, tout cela reste verbal et aucune loi vraiment contraignante n'est mise en place. Dans leur argumentation, les Pinçon-Charlot insistent notamment sur la perte d'influence de la religion catholique, dont les valeurs ont disparu et laissé la place à celle de l'argent-roi. Si je suis assez sceptique sur cette approche, le reste de l'ouvrage est un début de réflexion intéressant et à la portée de tous pour comprendre comment des sommes totalement virtuelles dominent aujourd'hui le fonctionnement de la société et les choix politiques. Car, loin de tout fatalisme, les deux sociologues sont convaincus que la situation n'est pas figée et que seul le courage politique permettra de lutter contre le pouvoir exorbitant de l'argent. Pour éviter de reproduire les événements décrits dans Margin Call et Le grand retournement.

 

Margin Call de J. C. Chandor

Sorti le 2 mai 2012

 

Le grand retournement de Gérard Mordillat

Sorti le 23 janvier 2013

 

L'argent sans foi ni loi de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot

ed. Textuel - Conversations pour demain

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