Dans ce court essai, John Berger, figure intellectuelle de l'altermondialisme, expose l'idée que le monde capitaliste tel que nous le vivons et nous le connaissons est une prison. Prison en quelque sorte inconsciente, mais de laquelle nous n'arrivons pas à nous extraire. Et de laquelle personne ne souhaite nous extraire.
La thèse de Berger ne part pas de rien. Le fondement de sa réflexion est l'œuvre de Foucault, qui a lui même travaillé sur le pénitencier et la prison. Mais leur source commune, c'est Jérémy Bentham, philosophe et économiste, féru de libéralisme économique et qui a également théorisé le moyen de toujours contrôler les prisonniers à l'aide du Panoptique. L'idée du panoptique, c'est de construire des pénitenciers circulaires, dans lesquels un gardien, placé dans une tour au centre du cercle, est suffisant pour avoir un œil sur tous.
Pour Berger, l'œuvre de Bentham est à la base d'un emprisonnement plus large, celui dont sont victimes les êtres humains dans le système économique dominé par le capital financier non industriel. Mais pour Berger, la prison dans laquelle nous sommes n'a pas pour but d'enfermer, mais plutôt celui d'exclure. La différence est minime, certes, mais je trouve que l'image est assez parlante.
Autre point que Berger discute est celui que l'idée du cyber-espace soit celui de l'emprisonnement le plus fort. La non limitation de nombreux espaces, l'ouverture, virtuelle ou réelle, à divers univers en quelques instants, peut paraître une opportunité phénoménale, mais elle a un revers : en détruisant les repères, en passant du réel au virtuel, notamment en terme financier, les prisonniers ne savent plus contre quoi s'emporter, et sont anesthésiés, condamner à rester dans leur enfermement, individuellement.
Dans ces courts chapitres, Berger utilise plusieurs sources pour défendre sa thèse. Si l'ensemble n'est pas une démonstration brillante, l'ensemble des exemples choisis par John Berger est cohérent, et cette cohérence est de plus en plus flagrante au fil de la lecture. L'emprisonnement économique est peut-être une thèse outrée, mais elle a certainement un fond de vérité qui est malheureusement beaucoup plus répandu que ce dont on veut se rendre compte.
Ouvrage publié par les éditions Indigènes, ceux-là même qui ont également publiés « Je suis prof et je désobéis », très bon essai sur la situation de plus en plus précaire des personnels de l'enseignement.
Dans l'entre-temps. Réflexions sur le facisme économique, de John Berger
Ed. Indigènes - Ceux qui marchent contre le vent