Actuellement à la Colline, on peut voir deux pièce de Strindberg, auteur suédois du XIXe, mise en scène par Christian Schiaretti. Si Mademoiselle Julie et Créanciers peuvent sembler de prime abord abruptes, le travail du metteur en scène et des acteurs permet de très bien entendre les deux oeuvres, et de passer ainsi un excellent moment.
Mademoiselle Julie est une jeune aristocrate. Le soir de la Saint-Jean, elle est exaltée, certaine que ses domestiques l'adorent. Or, il n'en est rien, et bien que Jean, le garde-chasse, la prévienne, rien n'y fait : elle est persuadée d'être aimée. Lorsque le danger devient trop flagrant, Jean parvient à manipuler la jeune fille et lui faire croire en un avenir radieux, loin des terres ancestrales.
Créanciers est également l'histoire d'une manipulation. Amoureuse, cette fois. Mais aussi une vengeance. Gustaf, professeur de lettres classiques, donne des conseil à Adolf, son ami peintre devenu sculpteur. Ils parlent également de Tekla, la femme d'Adolf, que ce dernier estime avoir ouvert à l'art et à la création, et être ainsi son créancier. Mais le principal créancier n'est pas forcément celui qu'on croit, et lorsque Gustaf décline sa véritable identité, le drame est déjà noué.
Dans les deux pièces, vues à la suite l'une de l'autre, Strindberg fait jouer des trios. Dans le premier, ce sont deux domestiques, vaguement amants (Jean et Christine) et leur maîtresse. Mais si Christine est finalement assez effacée, hors scène au moment de l'affrontement, Jean est lui peu tendre avec sa maîtresse. A l'image du serin auquel il tord le cou, il agrippe Mademoiselle Julie pour la faire répondre à ses désirs. Mais, serviable comme doit l'être un domestique, il rentre vite dans le rang lorsque son maître le sonne. Pièce sur la domination, maître/domestique et ambition/passion, Mademoiselle Julie emmène le spectateur sur toute la gamme des sentiments.
Pour Créanciers, c'est un peu plus classique, même si le retournement du dernier tiers est tout à fait saisissant. Affaire de trio, une nouvelle fois, mais le trio ne se verra jamais : la pièce est constituée de trios duos, qui font toute l'intrigue. La grande idée de Schiaretti, c'est de faire apparaître le troisième, sensé être hors champ. De ce fait, le duo est souvent placé sous l'oeil du troisième, qui se trouve bourreau ou victime.
L'ensemble est admirablement servi par une très belle scénographie, très simple et forte comme ce long couloir qui sert d'entrée aux personnages. Et les quatre acteurs sont remarquables. Wladimir Yordanoff et Clara Simpson sont présents dans les deux pièces, et à leur côtés, Clémentine Verdier en Mademoiselle Julie et Christophe Maltot en Adolf sont très bons. Un diptyque tout à fait réussi pour cette première incursion dans l'univers de Strindberg !