Passer une petite semaine de Lisbonne, c'est l'occasion de plonger un peu dans la littérature portugaise. Je l'ai donc saisie, cette occasion, pour découvrir des ouvrages des grands auteurs portugais.
Commençons par le plus réputé des auteurs portugais récents, récompensé par le Prix Nobel : José Saramago. J'avais été épaté par L'aveuglement, ouvrage où il imagine une société où la cécité se répand de manière contagieuse. Dans Caïn, c'est
une toute autre approche. Il reprend le personnage biblique, auteur du meurtre de son frère Abel, et lui fait traverser, par un moyen un peu magique, les grands épisodes de l'Ancien Testament. On
retrouve donc Caïn, avec sa mule, au pied de la tour de Babel, où il apprend pourquoi Dieu à inventer les langues. Il se trouve également sous les murailles de Sodome et Gomorre, où il s'étonne
de la manière dont Dieu décide de punir toute une population pour ses crimes, y compris ceux que Caïn estime innocents comme les enfants. De manière générale, le ton iconoclaste et anti-clérical
de l'ouvrage est omniprésent. Dieu est vu par les yeux de Caïn comme un être cupide, méchant, rancunier, qui n'hésite pas à demander la mort, que ce soit pour les adorateurs du veau d'or ou pour
le fils d'Abraham, sauvé au dernier moment par le bras de Caïn. Le tout se finit dans une grande scène à bord de l'arche de Noé, où Caïn va tout faire pour donner un autre sens à la punition
divine.
Ce qui est fort avec Saramago, c'est qu'il est capable d'écrire sur presque tout et d'emporter le lecteur. Saramago a une verve et un humour assez déroutant, même sur un sujet a priori sérieux comme l'Ancien Testament. Et j'ai retrouvé avec bonheur son écriture, ses longues phrases qui se lisent sans difficulté, ses dialogues originaux. Bref, j'ai pris beaucoup de plaisir avec ce texte posthume de l'auteur portugais.
Place maintenant à un auteur de la nouvelle génération, une des plumes présentées comme les plus prometteuses des lettres portugaises, Gonçalo M. Tavares. L'auteur a
décidé d'imaginer un quartier (le bairro) où sont rassemblées les plus grandes artistes : Rimbaud partage le même immeuble que Balzac et Lewis Carroll, et leurs voisins sont, entre autres,
Warhol, Beckett, Pessoa ou Proust. Ce quartier est, comme indiqué en début d'ouvrage, "comme le village d'Astérix, [...] un lieu où l'on tente de résister à la barbarie". Ici, il imagine la vie
de Monsieur Calvino, un homme un peu lunaire, d'une imagination débordante, peu à l'aise avec le monde réel. Par exemple, son lit, trop petit, lui pose problème : soit c'est sa tête, soit ce sont
ses pieds qui dépassent. Du coup, il est obligé de dormir de travers. Ce sont de courtes histoires, absurdes, comme ce jeu avec Duchamp pour lequel ils inventent la manière de compter les points
à la fin de la partie. C'est un petit ouvrage très distrayant, surprenant par les chemins qu'il emprunte. Ce n'est pas une biographie de Calvino, ni même une approche de son oeuvre, mais plus un
jeu littéraire, construit à partir des ouvrages de l'auteur italien.
Petit détour, enfin, par la figure tutélaire des lettres portugaises, celui qu'on ne peut que difficilement rater en se promenant dans Lisbonne, sa statue trônant au coeur du
quartier historique, assis à la terrasse de son café préféré, Fernando Pessoa. Je suis rentré dans son oeuvre par une toute petite porte, un tout petit recueil qui rassemble quatre projets de
courts-métrages imaginés par Pessoa. L'ensemble est très court, les courts-métrages sont plus ou moins développés (sauf moins que plus), laissant une grande liberté au lecteur pour imaginer
l'oeuvre finale. L'un d'entre eux, le plus abouti, imagine un jeu d'échanges d'identités involontaire assez surprenant. C'est vraiment un tout petit opus, certainement pas suffisant pour dire "je
connais Pessoa" mais suffisant pour poser avec lui en terrasse tout en discutant d'un de ses ouvrages !
Caïn de José Saramago
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich
Ed. du Seuil
Monsieur Calvino et la promenade de Gonçalo M. Tavares
Traduit du portugais par Dominique Nédellec
Ed. Viviane Hamy
Courts-métrages de Fernando Pessoa
Présenté et traduit du portugais par Patrick Quillier
Ed. Chandeigne