Saartjie Baartman, jeune femme originaire d'Afrique du Sud et aux caractéristiques physiques hors norme, se produit à Londres, dans un spectacle exploitant son aspect soit-disant
sauvage. Lors de représentations dans un cabanon, elle joue à la femme cannibale, ne sachant pas parler, et doit se laisser toucher par les spectateurs, sur ordre de son producteur, Hendrick
Caezar. Si quelques précurseurs des défenseurs des droits de l'homme tentent de la protéger, Saartjie ne réussira pas à sortir de son rôle de négresse étrange. Et que ce soit le public peu
fortuné, les salons parisiens ou l'Académie royale de médecine, tout le monde est fasciné par ce personnage qui sort de l'ordinaire. Mais pour Saartjie, c'est malheureusement un
enfer.
Comme j'aurai voulu adhérer totalement à ce film ! Comme j'aurai aimé que Kéchiche réussisse à m'émouvoir, à me questionner sur mon rôle de spectateur, sans retenue ! Pourtant, je suis sorti de la salle assez déconfit, car si le réalisateur parvient à donner de l'ampleur à son film pendant presque deux heures, je trouve que la dernière est de trop.
Commençons par le début, donc, le plus intéressant à mes yeux. Que les scènes de spectacles dégradants pour Saartjie (Yahima Torres, exceptionnelle dans ce rôle) se succèdent et se répêtent ne m'a pas gêné, au contraire, c'est un des éléments constitutifs du film. Que les plans durent, s'allongent, est également une des marques de fabrique de Kéchiche, et cela fonctionne dans de nombreuses scènes, comme celle dans la taverne. Ce qui est frappant, c'est qu'en plus de nous apprendre la vie malheureuse de cette femme, Kéchiche en profite pour nous questionner en tant que spectateur. Certains y ont vu une forme de voyeurisme imposé, et je ne partage pas du tout ce sentiment. On voit un spectacle humiliant, dégradant, bien sûr, mais je ne vois pas en quoi le speectateur est voyeur en allant à cette projection. Kéchiche le remue, le bouscule, mais on est prévenu dès le début du film (magnifique d'ailleurs, avec ces plans sur la statue qu'on s'attend à voir bouger).
Deux autres points m'ont beaucoup intéressés. Le premier concerne ces défenseurs des droits de l'homme avant l'heure, qui prennent fait et cause pour la jeune femme sans jamais lui demander son avis. Ils sont désavoués, et cette scène au tribunal illustre bien les dérives d'une certaine forme d'ingérence, au nom de principes tout à fait honorables, mais qui a surtout pour but d'alléger le coeur de ses protagonistes plutôt que de l'améliorer la vie de la femme bafouée. L'autre point concerne les scientifiques, autour de Georges Cuvier. Ont-ils le droit, au nom de la science, de faire subir à Saartjie Baartman tout une batterie de tests, uniquement parce qu'elle a un physique particulier ? Kéchiche répond par la négative, en peignant les médecins comme les spectateurs du cabanon, prêts à payer pour voir le tablier hottentot (les organes génitaux, donc), de la jeune femme.
Malheureusement, j'ai trouvé que la fin du film, après cette séance médicale éprouvante, tombe dans une description assez misérabiliste de la vie de Saartjie. Utilisée par son nouveau producteur (Olivier Gourmet, inquiétant au possible) dans les salons libertins ou prostituée, seule ou dans une maison, elle erre, en utilisant son corps, unique objet qu'elle a à vendre. Le message est moins clair, hormis pour montrer que la vie de Saartjie, a vraiment été un calvaire. J'ai trouvé cette fin longue, avec une scène d'orgie sexuelle notamment qui dure, dure, dure...
Mais le générique permet de redonner du crédit au film, avec des images d'archives du discours de Scharwtzenberg et celles du retour du corps de Saartjie Baartman en Afrique du Sud. Tout cela après que ses organes génitaux et sa statue en plâtre ont été exposés pendant 150 ans au musée de l'homme, à Paris.
Alors, difficile de recommander ce film sans réserve, mais c'est néanmoins un film à découvrir. Mieux vaut être averti de ce qu'on va voir, car certaines scènes peuvent être dures, mais je pense vraiment que le film aurait gagné à être un peu plus court, surtout pour les scènes de la dernière heure. Mais allez-y, tout de même !
Autre film d'Abdelhatif Kéchiche : La graine et le mulet