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25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 07:24

traitres.jpgAttention, billet paradoxal ! Car il sera question de sociologie, de la part d'un très bon sociologue actuel spécialisé dans les questions de la classe ouvrière et de l'accès au monde du travail des jeunes (Stéphane Beaud). Mais il sera aussi question de football, et tout cela dans le même ouvrage. Le sujet auquel Stéphane Beaud s'est attaqué : la grève des joueurs de l'équipe de France l'an dernier, lors de la Coupe du Monde 2010. Stéphane Beaud s'intéresse à la folie médiatique qui a suivi cet événement somme toute mineur. Cet événement, et les reprises faites par les média, m'avait à l'époque sidéré : pourquoi tomber à bras raccourcis sur des joueurs qui expriment un mécontentement contre des méthodes journalistiques plus que douteuses ? Stéphane Beaud plonge dans les relations footballeurs/journalistes et dans le cursus de formation des joueurs pour tenter d'expliquer (et non de justifier, nous sommes d'accord) ce mouvement et sa réception en France.

 

Je ne ferai pas une analyse détaillée de l'ensemble de l'ouvrage, mais deux sujets m'ont interpellé dans cet essai : le cursus de formation des journalistes et celui des footballeurs.

 

Stéphane Beaud explique l'incompréhension entre les deux catégories par une évolution de la sociologie des journalistes et par la condescendance latente qui en résulte. Dans les années 70-80, les journalistes étaient de la même origine sociale que les joueurs. Le football était considéré comme une activité peu intéressante, et les journalistes sportifs étaient souvent d'extraction modeste. Un des exemples pris est celui de Thierry Roland, ami des footballeurs qui parfois pouvaient loger chez eux. Côté footballeurs, Stéphane Beaud s'attarde notamment sur le cas d'Aimé Jacquet, qui a suivi des formations pour travailler en usine tout en débutant sa carrière. Une homogamie sociale donc, remise en cause sur deux points. Le premier a été la formation des journalistes qui passent pour la grande majorité d'entre eux dans les grandes écoles qui demandent des niveaux d'étude élevés. D'où un sentiment de supériorité intellectuelle face aux joueurs. Le second a été le fait que les footballeurs viennent de moins en moins de milieux ouvriers, mais des banlieues. On est passé d'une analyse de classe à une analyse par origine géographique. D'où le récisme latent, flagrant dans la recherche des traîtres, des meneurs de grève. Ont d'abord été accusés Ribéry (banlieue de Boulogne/Mer), Gallas, Evra, Abidal... des noirs, des arabes ou des musulmans. Et tous les commentateurs sont tombés de leur chaise quand ils ont appris que le texte avait été revu par Jérémy Toutalan, joueur blanc issu des classes moyennes de la banlieue nantaise. La banlieue a servi d'exutoire pour les journalistes en mal de bouc émissaire. Et encore, Raymond Domenech avait déjà fait un tri en écartant de la sélection Benzema, Ben Arfa et Nasri.

 

Le deuxième élément très intéressant mis en avant par le sociologue est le cursus de formation des joueurs, dont on ne réalise par à quel point il est déstructurant pour des gamins. Dès 13-14 ans, de nombreux enfants sont séparés de leur famille pour intégrer des centres de formation. Tout tourne autour du foot, et si les résultats scolaires sont généralement mis en avant par les clubs, ce n'est bien entendu pas le but premier (Elément révélateur : tout le foin fait par les média autour de la réussite au bac de Raphaël Varane en 2011, alors qu'il vient tout juste de signer au Real de Madrid. Un footballeur diplômé est vu par les journalistes comme une exception). Très tôt mis dans une bulle, rapidement rémunéré avec des salaires astronomiques pour des gosses de 17 ou 18 ans, on ne peut pas leur demander d'avoir des réactions d'adulte. Ils ont été couvés, choyés, n'ont jamais vraiment connu l'adversité en dehors du foot ou de blessures, et on attend d'eux qu'ils aient des comportements exemplaires. Une hérésie ! Il faudra certainement revoir ce système de transfert et formation dès le plus jeune âge, car on construit des machines qui ont ensuite  le plus grand mal à rebondir si la carrière footballistique tourne court.

 

L'ouvrage est bien entendu plus complet, avec notamment une analyse des joueurs d'origine algérienne ou un chapitre consacré aux bi-nationaux, avec les exemples de joueur ayant choisi la France comme Trésor ou Beretta (réponse intelligente au débat indigent né il y a peu sur cette question).

 

Un ouvrage passionnant que je recommande à tous les amateurs de football, qui auront peut-être un regard un peu différent sur ce mouvement de protestation finalement peut-être pas si idiot que cela (car comment protester contre une décision qu'on estime injuste, si ce n'est par un mouvement collectif ? Et si c'était pour certains leur première décision d'adulte ?)

 

Traîtres à la nation ? - Un autre regard sur la grève des bleus en Afrique du Sud de Stéphane Beaud, en collaboration avec Philippe Guimard

Ed. La découverte

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commentaires

E
<br /> Tu donnes envie de lire le livre alors que je n'ai pas spécialement envie de m'apitoyer sur le pôôôôvre sort des footballeurs, mais la confrontation semble intéressante et tout ce que tu dis<br /> paraît très juste.<br />
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Y
<br /> <br /> Le problème n'est pas de s'apitoyer sur les pauvres footballeurs, mais de comprendre pourquoi le système médiatique s'est emballé à ce point pour une anecdote. L'apport de la sociologie est ici<br /> très intéressant, notamment en terme de cursus des protagonistes.<br /> <br /> <br /> <br />