Scott est américain. Photographe de formation, il
est envoyé en Roumanie pour faire un reportage sur les bergers de Transylvanie. La Roumanie qu'il découvre est celle de 1988, des Ceaucescu et d'avant la chute du Mur. Autant dire qu'il est bien
surveillé, en particulier par son chauffeur. Heureusement, il peut s'appuyer sur Helena, la traductrice qui l'aide dans ce périple nouveau pour lui. Helena n'a qu'un rêve : quitter ce pays pour
enfin profiter de la vie. En accord avec Scott, ils décident de se marier, mais uniquement pour permettre à Helena de le suivre au Danemark, où il a vécu avec sa première femme. Mais l'affection
de Scott prend une dimension inattendue, et lorsqu'Helena s'en va, il est totalement désœuvré. Il demande alors à son beau-fils de retrouver Helena, ce qu'il parvient à faire après un voyage à
travers l'Allemagne et l'Italie. Il apprendra surtout les raisons qui ont poussé Helena à fuir son pays...
Piazza Bucarest est un roman qui se laisse apprivoiser. L'entrée en matière n'est pas des plus simples : un photographe américain, vivant en partie au Danemark, décide d'aider une jeune roumaine qui veut fuir son pays. Tout cela raconté par son beau-fils, qui n'a aucun lien avec Helena, puisqu'il est le fils issu d'un premier mariage de la femme de Scott. Qui est danoise, d'où l'implantation au Danemark. J'espère que vous suivez !
Le début du roman est également assez théorique. Il est y régulièrement fait mention de l'Histoire, avec une majuscule, comme pour bien montrer qu'on ne parle pas à la légère de ce sujet. Puis, on se prend d'affection pour les héros du roman, on souhaite en apprendre plus sur cette jeune femme qui à Bucarest vivait parmi des jeunes artistes marginaux. Le moment de bascule se fait lorsqu'à la télévision, depuis le Danemark, Scott et sa nouvelle épouse assistent au simulacre de procès des Ceauscescu, qui aboutit à leur mise à mort en place publique. Chacun a une interprétation des événements, et on sent enfin apparaître dans ce couple très lisse une brêche qui laisse augurer un trouble plus profond.
C'est vraiment lors de la rencontre du narrateur avec Helena, en Italie où elle est partie avec un antiquaire, que le roman prend sa véritable dimension. Depuis les petites places romaines (dont la Piazza Bucarest du titre), Helena replonge dans sa vie en Roumanie, et dans les expériences qui ont construit sa vie : les cours de piano, sa relation avec le fils de la professeur. Surtout, on comprend véritablement pourquoi elle a cherché à passer à l'Ouest, abandonnant sur place beaucoup plus que son propre passé. Et c'est là que s'exprime la force romanesque et fictionnelle de Grøndahl, capable d'emmener son lecteur de la Roumanie communiste à l'Italie ensoleillée et insouciante, en passant par les paysages plats et battus par les vents de la campagne danoise.
Une belle rencontre avec cet auteur et ses personnages, beaucoup plus obscurs que ne le laissent penser les premières pages. Un peu d'abnégation, mais qui fut assez bien récompensée cette fois-ci, d'autant plus que l'écriture de l'auteur est assez savoureuse !
Les avis de Clarabel, Ingannmic (sous le charme), Papillon et Cuné (surtout sensibles à la musique des mots de l'auteur)
Piazza Bucarest, de Jens Christian Grøndahl
Traduit du danois par Alain Gnaedig
Ed. Folio