Tony Gatlif a
enfin franchi le pas, celui de raconter la chasse aux gitans menée par la France vichyste, projet qui lui tenait à coeur. En même temps que la parution du roman, écrit avec Eric Kannay, sortait donc sur les écrans Liberté.
Gatlif est fidèle a ce qui fait sa marque de fabrique : une histoire forte, portée par le communauté gitane, en particulier sa musique. Car si le sujet est difficile, le réalisateur n'oublie pas de faire entendre, comme toujours dans ses films, la musique de cette communauté. Que ce soit dans les rues lorsqu'ils font la quête, dans un bal ou devant des poules pour les faire pondre (scène très drôle), la musique est omniprésente, au plus grand ravissement des oreilles du spectateur.
L'autre marque de fabrique, c'est la générosité dont fait preuve Gatlif, sensible à l'écran. Générosité envers les personnages,qu'ils soient gitans ou non. Ainsi, Théodore, le maire et vétérinaire du film incarné par Marc Lavoine, sobre et efficace, ou Melle Lundi, jouée par Marie-José Croze, font preuve, chacun à leur manière, d'un altruisme et d'une solidarité admirable. Mais la générosité de Gatlif est également très sensible dans le personnage de Taloche (James Thierré, un véritable funambule). Simplet, il voue une admiration secrète pour Melle Lundi, et décide d'assister aux cours qu'elle donne uniquement pour la voir. Malheureusement, les gitans n'étant pas habitués à rester assis sur une chaise, les cours tournent courts.
Mais Gatlif n'oublie pas non la réalité historique, et montre clairement l'implication de la police française dans la traque contre les gitans. D'ailleurs, Théodore est lui-même d'abord enclin à faire respecter les lois de la France pétainiste, qui interdit aux gitans de voyager avec leurs roulottes. Sa lecture du texte de loi exprime bien cette ambivalence entre la volonté de faire respecter la loi et celle d'aider ces gens qu'il voit tous les ans, et qui ne viennent dans le village que pour participer aux vendanges.
Un très joli film, efficace et qui représente bien ce qu'a pu être cette France des années 1942-1943-1944, prise entre révolte, volonté d'aider les plus faibles, adhésion aveugle aux thèses les plus infâmes ou collaboration éhontée. Film qui permet également de voir Rufus, émouvant lorsqu'il découvre le campement gitan vide, et une représentation des camps d'internement des gitans, gérés par la police française et évoquée dès le générique avec une très jolie ouverture sur les barbelés. Bref, un film que je conseille vivement !