[Billet paru sur Biblioblog] À la fin des Sept fous, on avait laissé Erdosain en proie au doute, face à l'assassinat prévu de Barsut, le
cousin de sa femme . Désarroi lié au meurtre, mais également au fait qu'il ne sait plus trop s'il doit faire confiance ou non à l'Astrologue et à son projet d'un groupe cherchant à implanter la
révolution en Argentine. Les lance-flammes replonge donc le lecteur dans les bas-fonds de Buenos Aires, pour démêler le fin de mot de cette histoire hors norme.
Les lance-flammes est donc la suite immédiate du roman précédent, et pour bien saisir ce dont parle le roman, il est indispensable d'avoir lu Les sept fous. Car on y retrouve les personnages hauts en couleurs du premier opus. Et le premier d'entre eux, c'est Erdosain : il vient de se séparer de sa femme, est sous la menace d'une poursuite en justice pour vol dans son entreprise, et se raccroche à la moindre branche qui se présente à lui. Même la plus pourrie qui soit. En l'occurrence, c'est l'Astrologue qui lui propose une porte de sortie, en lui présentant son projet de société révolutionnaire, fondée sur le modèle de développement du Klu Klux Klan et financée par les maisons closes.
Alors que le premier volume se consacrait surtout à Erdosain et sa quête, le récit est ici plus fragmenté, passant beaucoup plus facilement d'un personnage à l'autre. La femme d'Erdosain explique ainsi, dans un long récit, les raisons pour lesquelles elle a décidé de partir. Son mari n'a pas agi sur un coup de tête, mais sa déchéance morale et sociale a des racines bien plus lointaines.
Mais le grand morceau de bravoure de roman est un long dialogue entre l'Astrologue et son Avocat. Dans cet échange, le premier explique au second les raisons de son engagement politique : pour lui, le seul moyen d'implanter la révolution en Argentine est d'amener les militaires au pouvoir. Ceux-ci mettront en œuvre une politique qui créera une forte réprobation et le peuple sera alors prêt à se jeter dans les bras de la révolution pour échapper aux militaires. Alors qu'il n'acceptera jamais la révolution dans un cadre pacifié. Ce coup politique à trois bandes, totalement improbable et irréaliste, est révélateur de la folie qui tient tous ces protagonistes.
L'autre avantage du roman est de donner de l'épaisseur et de la matière à ce qui pouvait être obscur et parfois ésotérique. Les personnalités prennent véritablement corps, les caractères s'affirment. La folie est partout présente chez ces marginaux, folie qui amènera l'auto-destruction de ce qu'ils veulent construire. Mais le plus sidérant est peut-être que ce que décrit Roberto Arlt, dans les années 30, est malheureusement ce qui est arrivé à son pays par la suite : une dictature militaire, avec l'appui des États-Unis, mais à laquelle le mouvement révolutionnaire n'a pas pu apporter d'alternative. Un dytique de romans à l'intrigue folle, aux personnages marginaux et étranges, mais pas si éloignés de la réalité que cela, finalement.
Autre roman de Roberto Arlt : Les sept fous
Les lance-flammes, de Roberto Arlt
Traduit de l'espagnol par Lucien Mercier
Éditions Belfond