Je ne suis pas un grand lecteur de roman fleuve. Pourtant, j'ai pris beaucoup de plaisir à me plonger dans le roman de Richard Powers,
Le temps où nous chantions. Sur près de 50 ans, l'auteur invite le lecteur à découvrir la vie de la famille Strom, famille mixte dans l'Amérique marquée par les conflits raciaux. La
musique semble être un refuge pour les membres de la famille, mais l'entité familiale subira les soubresauts des conflits qui secouent l'Amérique.
Il est difficile de résumer facilement les 750 grandes pages de ce roman, tellement les événements narrés par l'auteur sont nombreux. Le lecteur suit la construction du couple composé par Delia Daley et David Strom. Une femme noire ; un juif allemand ayant réussi à fuir l'Allemagne nazie. Leur histoire débute par une rencontre impromptue sur le Mall, à Washington, lors d'un concert d'une grande cantatrice noire, Mlle Anderson, donné en faveur de la cause noire. Tout le roman est construit sur cette double trame, celle de la musique et celle de la question raciale.
Outre les relations complexes avec la famille Daley, qui ne comprend pas ce mariage mixte (ni les enjeux des activités professionnelles de David, physicien à l'Université), les questions raciales se posent surtout avec les enfants du couple, métis. Trop noirs pour les blancs. Trop blancs pour les noirs. Jonah, l'aîné, a des capacités musicales exceptionnelles. La qualité de sa voix est reconnue par tous, et il entraîne dans son sillage son jeune frère, Joey, qui devient son accompagnateur attitré. Le troisième enfant du couple, la jeune Ruth, ne suit pas le même chemin : elle épouse la cause du Black Power, et rompt avec cette famille qui a voulu les faire grandir dans l'idée que la couleur de peau n'importe pas.
Richard Powers réussit à mêler de façon magistrale les interrogations intimes de ces personnages et les enjeux politiques et sociaux. La plus marquant est certainement le lien fait entre les grands événements et les enjeux intimes, comme autour de la rencontre entre Delia et David. Ceci se reproduit également avec un rassemblement ultérieur à Washington, celui où un pasteur noir fait un célèbre discours.
C'est aussi un très grand roman musical. Très jeunes, les enfants passent leurs soirées à improviser avec leurs parents autour du piano familial. Tout le roman parle de musique, et toutes les musiques : les classiques du XIXe, la musique contemporaine des années 1950, le jazz, le be-bop, le rap ou la musique baroque. Tout cela donne envie de se plonger dans les oeuvres évoquées.
Enfin, je crois que c'est le premier roman que je lis qui traite de cette manière des problèmes raciaux qui ont secoué les Etats-Unis dans les années 1950-1960. Les soulèvements urbains qui secouent toutes les villes apparaissent en filigrane, mais ce sont surtout les conséquences intimes de ces conflits raciaux qui sont admirablement rendus. Si Jonah Strom réussit sa carrière musicale, sa mère a échoué quelques années auparavant, au même endroit, en raison de sa couleur de peau.
Le temps où nous chantions est un roman magistral, qui traite admirablement et avec un grand romanesque de politique, de la question raciale et de musique. Une grande et belle oeuvre.
Le temps où nous chantions de Richard Powers
Traduit de l'anglais par Nicolas Richard
Ed. le cherche midi - Lot 49