Beth vit dans la cité des Pins, une banlieue presque
banale pour une Maorie comme elle. Elle se débrouille pour faire tourner le foyer, avec ces enfants aux âges et aux orientations diverses et un mari plus réputé pour faire le coup de poing que
pour apporter une aide matérielle. Comme les autres maoris, elle vit en marge de la société néo-zélandaise. Et comme les autres membres de la communauté, elle est persuadée de devoir faire face à
l'adversité du monde entier : celle des blancs, les anciens colonisateurs ; celle de son mari, qui n'hésite pas à la frapper même devant ses amis ; celle de l'alcool qui détruit tout lien social.
Dans cet univers bien sombre, c'est au comble de l'adversité que Beth va trouver le moyen de redonner un sens à sa vie.
L'âme des guerriersest un roman âpre, dur et violent. Rien ne semble apporter de la joie aux maoris qui vivent dans le ghetto. Et la moindre petite escapade en voiture, qui doit se conclure par un pique-nique avec le fils placé en institution, tourne rapidement au cauchemars. Les hommes boivent, les femmes font parfois de même et les enfants livrés à eux-mêmes parcourent les rues sans but. Ils se réfugient dans la colle ou rêvent d'intégrer l'une des bandes violentes du quartier, pour pouvoir une fois faire la loi et écraser les autres, croyant ne plus être écrasés eux-mêmes.
Tout ceci est bien loin de l'image que nous nous faisons des
maoris, uniquement vu par ici comme un peuple capable de fournir l'équipe de Nouvelle-Zélande de rugby en éléments physiquement impressionnants. Si cela est vrai pour quelques uns qui deviennent
des vedettes (tout comme la cantatrice Tiri Te Kanawa, réputée pour être l'une des rares à avoir su s'imposer dans le monde occidental), les autres continuent leur vie dans ces quartiers, sans
but, avec des vies réglées comme du papier à musique, avec beuveries, bagarres et recherche d'argent.
Mais le roman d'Alan Duff, dans sa noirceur, est un très bel ouvrage. Car il donne à découvrir des personnages touchants, attachants pour certains d'entre eux. Outre Beth, on ne peut que pleurer sur le sort de Grace, sa fille. Elle ne rêve que d'une chose : le piano qui se trouve chez les Trambert, les riches propriétaires blancs du voisinage. Le petit Boogie, envoyé en institut, ou Nig, celui qui veut entrer chez les Brown Fists, sont des personnages marquants. Dans cette société très masculine où le sens de l'honneur a un rôle primordial, les personnages féminins sont très puissants.
Surtout, Alan Duff ne perd de vue le style. Le fond est fort,
mais la forme est très intéressante. Sans aucun dialogue, il donne à entendre les voix des divers protagonistes qui s'expriment dans le roman. Avec un art particulier de la construction de son
texte, il rend magnifiquement le polyphonie de ces bistrots glauques de fin de nuit. C'est un style un peu exigeant mais qui vaut le temps de s'y attarder. Mention pour Pierre Furlan, le
traducteur, qui n'a pas du avoir la tâche facile.
Roman lu dans le cadre du 12 d'Ys (merci de m'avoir poussé à lire un roman néo-zélandais, je ne l'aurai pas fait autrement ;-)
L'âme des guerriersd'Alan Duff
Traduit de l'anglais par Pierre Furlan
Ed. Babel