Il est des oeuvres dont on sort frustré. Frustré, parce qu'on a
l'impression d'être passé à côté, ou que l'auteur a manqué son sujet. Frustré, car on se faisait une montagne d'un film qui finalement n'est qu'une petite historiette joliment illustrée. Et puis,
il y a la frustration à la Gainsbourg, celle dont on se dit que le réalisateur a frôlé une oeuvre forte, touchante, magnifique, et qui malheureusement manque un peu de distance.
Car Joann Sfar, avec sa biographie romancée et imaginaire de Gainsbourg, n'est pas passé loin du coup parfait. Sur un sujet attendu et assez glissant, et dont je n'attendais personnellement pas grand chose, n'étant pas un connaisseur ni un grand adepte de Serge, il parvient à éviter, pendant une heure, tous les clichés, et à y mettre sa patte. Les images de Lucien enfant, qui va chercher son étoile juive ou qui apprend le piano sous le regard inquiétant de son père, amènent une touche de naïveté, vite démentie par la suite. Les parents occupent d'ailleurs un place de choix tout au long du film. Surtout, le parti-pris de Sfar, de faire de cette évocation de la vie de l'artiste une interprétation toute personnelle, est l'idée forte du film. Que ce soit le juif aux quatre mains et quatre pieds qui poursuit le petit Lucien jusque dans son lit, ou son grand double qui prend feu avec les dessins de jeunesse de l'artiste, les personnages inventés par Sfar apportent une dimension qui rend la vie de Gainsbourg plus vraie, plus riche. Eric Elmosnino, magnifique dans ce rôle, trouve alors un personnage qui lui répond, qui lui tient tête.
La première partie du film vaut également pour son évocation, certainement fantasmée, du Paris des années 60. Boris Vian (Philippe Katherine chantant Je bois, irrésistible) découvre le talent de Lucien Ginsburg, et les frères Jacques, qui dorment dans tous les endroits improbables, mettent en musique les textes du jeune auteur. On y croise Juliette Gréco (Anna Mouglalis, fade) et les femmes qui occuperont la vie sexuelle du chanteur. La relation avec Bardot (Lætitia Casta, très bien) est génialement dépeinte, avec ce qu'il faut d'outrance pour faire revivre le mythe. Un début merveilleux, et on se dit au bout d'une heure qu'on voit peut-être le premier très très bon film de l'année.
Et patatras ! Tout cela est évacué. Le double de Gainbourg disparaît, certainement avalé par le chanteur, qui se retrouve du coup assez seul. On assiste, ensuite, à une mise en image des épisodes marquants de la vie de Gainsbourg : sa relation avec Birkin puis Bambou, son hospitalisation après qu'il ait failli y passer. Je crois que le comble de la reproduction convenue est cette scène de concert où il chante La marseillaise, alors que le concert est annulé en raison de la présence de nationalistes peu sympathiques aux alentours. Bref, une fin (longue) en eau de poison (ou queue de boudin), qui ferait presque oublier ce magnifique début de film. Heureusement, le meilleur reste en mémoire. Vraiment dommage, car on sent que Joann Sfar en a encore sous le pied.
Je dois tout de même lui rendre hommage, car j'ai réalisé que le titre de Gainsbourg, Initials B.B, est une
reprise de la mélodie du 1er mouvement de la Symphonie du Nouveau Monde, de Dvorak. Tout cela est d'ailleurs amené très subtilement, comme l'ensemble des chansons qui sont parfois juste évoquées
pour éviter le catalogue. Rhâââ ! C'est vraiment rageant, car il ne manque vraiment pas grand chose pour en faire un grand film ! Mais je vous invite vraiment à voir ce très bon film
(excellent dans sa première partie !)
L'avis de Pascale
Autre ouvrage de Joann Sfar : Le petit
Prince