Winston Smith est employé au ministère de la Vérité, un des quatre ministères qui composent l’administration de l’Océania en 1984. Les autres ministères sont les ministères de l’Amour, de la Paix et de l’Abondance, et trois devises dictent leur action : « La guerre, c’est la paix », « La liberté c’est l’esclavage », « L’ignorance c’est la force ». Ce gouvernement est dirigé par Big Brother, homme à moustaches dont l’image est affiché sur tous les murs de la ville, rappelant aux habitants qu’ils les regardent constamment grâce à un système de caméras installées dans tous les endroits : sur les places, dans les appartements.
Winston, réalisant peu à peu que le gouvernement pour lequel il travaille est une dictature prête à tout pour faire taire les opposants, décide de consigner ses pensées jugées criminelles dans un journal. Se marginalisant petit à petit, il rencontre Julia, jeune femme qui partage une partie des ses idées et a décidé de profiter au maximum de ce qu’il est possible de faire. Mais lorsque Winston se rapproche d’O’Brien, il ne sait pas encore qu’il a ouvert la porte du piège qui va refermer sur lui.
Grand classique de la littérature d’anticipation, le livre d’Orwell est à la fois une utopie dictatoriale, mais également une charge contre les régimes communistes. Utopie, car ce livre écrit à la fin des années 40, se déroule en 1984, dans un monde totalement contrôlé par l’Angsoc, parti se réclamant du socialisme, et constamment en guerre. Le plus impressionnant dans ce monde imaginaire, hormis le fait d’être sous surveillance à n’importe quel moment par le biais des télécrans, est la volonté de falsification du gouvernement, qui transforme l’histoire afin d’assurer aux habitants que Big Brother a toujours défendu les mêmes positions. Ainsi, le travail de Winston consiste à modifier les anciens journaux pour faire disparaître tout élément compromettant. Lorsqu’un ennemi de la nation est enlevé par le gouvernement, il fait en sorte que plus aucun journal n’en fasse mention. Lorsqu’une prévision économique se révèle erronée, on transforme cette prévision. De même, lors des guerres successives contre l’Eurasia ou l’Estasia, Winston transforme tous les articles afin de laisser penser que l’ennemi a toujours été le même. C’est d’ailleurs cette propension des citoyens à oublier que l’ennemi a changé qui met à la puce à l’oreille de Winston quant au statut du régime de l’Océania.
L’autre point, plus pragmatique, est la dénonciation des régimes communistes, qu’on trouve déjà dans La ferme des animaux. Le fait de supprimer des photos les anciens camarades devenus ennemis a été une pratique courante de l’URSS stalinienne des années 30. De même, la dénonciation de la bureaucratie qui affleure ici est à mettre en lien avec l’appareil étatique étouffant de l’URSS. Dans ce cadre de fiction, Orwell fait également preuve de dénonciation envers un système qui a dévoyé les idées auxquelles il a cru (il s’est engagé dans les rangs républicains pendant la guerre d’Espagne, auprès des communistes).
Si le fond est très intéressant (la trahison, la capacité à oublier ce qu’on veut faire oublier, le contrôle systématique et la suspicion généralisée avec le crime par la pensée), la forme m’a moins emballé. Le début est très riche, très rapide avec la mise en place de ce monde de 1984, une sorte de Brazil, puis on plonge dans les textes théoriques rédigés par le chef de l’opposition, que Winston a dans les mains. Cette partie, moins romanesque et qui reprend ce qui a pu être compris auparavant m’a moins intéressé, et sa lecture fut assez laborieuse. La fin, où le romanesque est de retour avec des scènes éprouvantes de torture digne de l’Aveu de Costa-Gavras, redonne un peu de souffle au roman.
Malgré ces quelques remarques formelles, 1984 est un roman important. Il y aurait encore beaucoup d’éléments à évoquer (la novlangue, la présence de trois classes sociales qui ne mélangent pas, la capacité de torturer en convoquant le pire cauchemar de l'interrogé). Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est que ce roman n'est pas si éloigné que cela de la réalité de dictatures qui ont pu commettre différents méfaits au cours du Siècle dernier. Mais l’Océania reste encore de l’anticipation. Pour l’instant…
1984, de George Orwell
Traduit de l'anglais par Amélie Audiberti
Ed. Folio