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14 août 2009 5 14 /08 /août /2009 08:50

Martin Eden est marin. Sans aucune fortune, il vit de divers travaux sur les bateaux sur lesquels il est embauché. Amoureux des voyages, sa vie bascule lorsqu’il est invité à un repas par un jeune homme qu’il a aidé lors d’une bagarre. Il découvre le monde des aristocrates, et fait la rencontre de Ruth Morse, jeune fille qui va occuper son esprit. Epaté par le brillant et les connaissances de ce milieu qui lui était inconnu, il se pique de lire tout ce qui lui tombe sous la main pour atteindre le niveau de ses modèles. Il tente même de devenir écrivain, au risque de se couper de son milieu d’origine, qui le considère comme un fainéant refusant le travail manuel, et de ne jamais rejoindre totalement le monde de Ruth, car ses origines populaires le trahissent toujours. Et lorsqu’il atteint enfin son but, vivre de sa littérature, il n’en profite pas, découvrant la mesquinerie de ce monde qui rejette le marginal et qui adule ce qui est à la mode…

 

Martin Eden est un très beau roman de Jack London, riche et ouvrant de nombreuses fenêtres sur la société du début du XXeme siècle aux Etats-Unis. Martin Eden emmène le lecteur tout d’abord dans le monde des petits travailleurs de San Francisco, celui des marins embauchés à chaque voyage, celui des commerçants, comme son beau-frère, des logeuses, comme Maria, la portugaise chez qui il a une petite chambre. On plonge aussi avec lui dans l’enfer des grands hôtels : la buanderie. Avec lui et son collègue, on souffre face à la chaleur qui y règne, aux horaires monstrueux qui leur sont imposés pour des salaires dérisoires. Martin Eden n’est pas ce qu’on pourrait appeler un roman social, mais Jack London dépeint de manière indirecte ce monde qu’il a lui-même cotoyé, celui des monts de piété et de ceux qui comptent sur la moindre pièce pour payer leur loyer.

 

Le roman tourne autour de deux autres thèmes : l’amour que se portent Martin et Ruth, qui doivent affronter les différences sociales qui font que leur deux mondes ne se connaissent pas et se rejettent, et l’envie d’écrire de Martin. Sur ces deux sujets, le regard porté par Jack London est très pessimiste. Dans le premier cas, rien n’arrivera à briser la volonté ferme et indestructible de la famille Morse de séparer Ruth de Martin. Malgré tous ses efforts, Martin ne se mélange pas à cette société. D’abord à cause d'un déficit de connaissance des conventions et de ses tics populaires : ses erreurs de syntaxe, son ignorance concernant certains sujets le mettent à l'écart. Mais lorsque son savoir atteint celui de ses hôtes, il réalise leur bassesse, leur médiocrité : peu savants, ils se réfugient derrière les conventions et le bon goût. Mais les aristocrates ne sont pas les seuls à être épinglés par Martin Eden : les socialistes, avec leurs idées de collectif, laissent froid Martin, qui ne jure que par l’individualisme. Toujours en contradiction avec ce que les autres vénèrent, il est dans tous les milieux une attraction qu’il convient de laisser à l’écart. Martin Eden réalise définitivement cette petitesse d’esprit lorsque ceux qui le jetaient dehors quand il n’avait un sou l’invitent à sa table lorsqu’il croule sous les propositions de contrat de la part des maisons d’édition.

 

Ces dernières sont la seconde cible majeure de Jack London. Martin Eden veut écrire, et vivre de son art. D’abord optimiste, il réalise que ses premiers écrits souffrent d’indéniables défauts dus à sa méconnaissance de la littérature et des règles. Il se plonge alors dans les revues, pour découvrir ce qu’elles publient, mais son œuvre reste inconnue et méprisée. Mais il persiste : il fait des entorses à ses principes en écrivant des petites pièces comiques, espérant en vain avoir plus de succès. Malgré les mises en garde de son compagnon Brissenden, lui aussi poète mais très méfiant vis-à-vis des revues (personnage mystérieux et intriguant, une vraie réussite), il persiste à vouloir être publié. Et lorsque la consécration arrive, il se rend compte qu’il est souvent obligé de mettre un mouchoir sur ses intransigeances pour plaire aux rédacteurs. Surtout, comme pour la famille Morse, il se rend compte de la bêtise de ces maisons, de ces revues, qui pendant plusieurs années ont systématiquement rejeté ses manuscrits, et qui à présent acceptent la plus mauvaise de sa littérature, uniquement du fait de sa renommée.

 

Roman en grande partie autobiographique, Martin Eden est une vraie réussite, loin de l’image habituelle de Jack London, celui de Croc-Blanc. Une œuvre à découvrir !

 

Martin Eden, de Jack London

Traduit de l'anglais par Francis Kerline

Ed. Phébus

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commentaires

F
Je viens de lire ce livre (pour moi aussi, il m'a été recommandé et prété par une amie que je remercie vivement) je me suis régalée du début jusqu'à la dernière page qui est arrivée trop tôt ! J'avais naturellement lu "croc blanc" lorsque j'étais beaucoup plus jeune et même ce livre pour la jeunesse était déjà un livre magnifique. Cependant j'avoue que je ne connaissais pas tellement Jack London, cette dernière lecture me l'a fait découvrir et j'ai compris que cet homme extraordinaire fait partie des rares humains qui volent très haut, tellement au-dessus de nous! Jadmire et j'envie leur endurance et leur volonté, qu'ils soient remerciés de nous faire partager un tout petit peu de leur univers et de nous ouvrir des fenêtres sur d'autres horizons.
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Y
<br /> C'est le premier roman que je lis de London, et je crois que je ne vais pas m'arreter en si bon chemin, car ce monsieur semble avoir beaucoup de choses à dire !!! Merci de venir donner tes<br /> impressions ici !<br /> <br /> <br />
S
Ici "la sonneuse de cloches" qui confirme qu'il faut que Pascale lise ce livre bouleversant, sans doute celui que j'ai relu le plus grand nombre de fois (avec "Belle du Seigneur" de Cohen et "La peau de chagrin" de Balzac )! Cela me donne aussi l'occasion de découvrir ce blog sur lequel je reviendrai avec plaisir.
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Y
<br /> Mais tu seras toujours la bienvenue par ici ! Et tu as bien eu raison de pousser Pascale à découvrir ce livre !  C'est une amie qui m'a également permis de le lire (qu'elle en soit d'ailleurs<br /> remerciée, puisque je ne l'ai pas encore fait (enfin, si, mais de vive voix uniquement)).<br /> <br /> <br />
P
Je me suis fait "sonner les cloches" récemment parce que je ne l'avais pas encore lu.Je vais y remédier à présent.
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Y
<br /> C'est cela, de ne pas avoir lu tous les livres ! Il y a toujours quelqu'un pour nous rappeler à coté de quoi on passe !!! Mais les blogs sont aussi là pour réparer cette erreur encore réparable ;-)<br /> <br /> <br />
K
Autant je ne suis pas du tout tentée par Croc-blanc et compagnie, autant je pense que ce roman-ci pourrait faire mon bonheur!!
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Y
<br /> Je te conseille vivement cette plongée dans l'univers moins connu de Jack London, son coté social et romantique. Je suis certain que tu y trouveras ton compte !<br /> <br /> <br />