Sur un bateau traversant l’Atlantique, un homme reconnaît une vedette des échecs qui voyage incognito, Czentovic. Décidé à le voir jouer, il monte un stratagème pour l’inciter à se
dévoiler. Arrivant à ses fins, il parvient à monter une partie dans laquelle Czentovic jouera contre l’ensemble des autres membres à bord. Et alors qu’un coup décisif est sur le point
d’être joué, un inconnu retient les joueurs pour les empêcher d’offrir la victoire au champion. Curieux, on interroge le nouveau venu qui dit n’avoir pas joué aux
échecs depuis plus de 20 ans. Il raconte alors comme il a appris à jouer : à cause de son enfermement et de son isolement décidé par les nazis.
Le joueur d’échecs est un roman court mais dense. Zweig réussit à surprendre son lecteur dans cette nouvelle. Alors qu’il pense que le joueur d’échecs du titre est Czentovic, vedette mondiale, on découvre relativement tardivement que tout ceci n’est que prétexte à introduire le véritable héros de l’histoire, M. B., autrichien et ancien prisonnier des nazis. Heureusement que ce basculement se produit car Czentovic, sûr de sa force et de sa supériorité, est un être froid et antipathique, qui fera tout pour exploiter les failles de son adversaire contre qui il acceptera de jouer.
A l’inverse, M. B. apparaît comme humain, notamment par son statut de victime des expériences nazies. La punition que lui inflige les nazis (et que je ne dévoilerai pas totalement, pour ne déflorer une partie de l’intérêt de l’œuvre) est inhumaine, et finalement bien plus lourde de conséquences qu’une peine classique. On réalise à quel point le fait de parler et d’échanger avec autrui est important.
La tombée dans la monomanie des échecs, effet secondaire de la punition infligée, et la dépendance permanente à laquelle doit faire face M. B. illustre les limites du psychisme humain. C’est parce que le narrateur prend soin de lui qu’il ne perd finalement pas totalement pied dans cette histoire.
Zweig, avec une écriture très fluide, signe avec Le joueur d’échecs une œuvre importante sur la soumission et la folie. Il est à préciser que ce roman a été rédigé lorsqu’il était en exil au Brésil pour fuir l’Allemagne nazie, et qu’il constitue sa dernière œuvre avant son suicide. Zweig, lucide, signe une œuvre qui témoigne de la folie de l’époque qu’il n’a pas pu supporter. Vraiment un ouvrage à lire !
Le joueur d'échecs, de Stefan Zweig
Traduit de l'allemand
Ed. Le Livre de poche