Juliette Gréco, icône germanopratine de l’après-guerre, n’a pas cessé depuis soixante ans de chanter. Hier sur des textes de Gainsbourg, d’Aragon, aujourd’hui aidé par les plus jeunes Christophe Miossec, Benjamin Biolay, Marie Nimier, Olivia Ruiz ou Abd Al Malik, elle continue de déployer son talent sur disque et sur scène. Découverte par l’intermédiaire de l’album qu’elle a sorti il y a maintenant cinq ans (et qui contient une très belle version de La rose et le réséda de Louis Aragon), je suis sous le charme. Ainsi, lorsque j’ai reçu une place pour aller la voir sur scène, j’étais aux anges. Bonheur aucunement déçu par la prestation scénique que j’ai pu voir.
Il faut bien l’avouer, le début de ce récital m’a fait craindre le pire, à cause de la difficulté pour comprendre ce que Juliette Gréco chantait. Puis, le temps passant et la voix s’échauffant, l’ensemble s’est fluidifié, et l’artiste a pu faire usage de l’ensemble de ses talents d’interprète. Car c’est bien à un travail d’interprète que l’on assiste : Gréco n’écrit pas, ni paroles ni musiques, et demande à d’autres d’écrire pour elle. Artiste très honnête, puisqu’elle rend hommage avant chaque chanson à l’auteur et au compositeur.
L’audace de Gréco se voit sur scène où elle mélange les chansons, celles de 1950 avec celles de 2009, où elle chante à la fois ses succès, comme le mythique Déshabillez-moi, mais aussi ceux des camarades qu’elle côtoyait (Brel, Ferré, Gainsbourg). Elle a l’art de mettre dans chaque chanson une part d’elle, de lui donner corps. Sur beaucoup de titres, elle a emmené le public (Ne me quitte pas, La javanaise,…), mais trois titres ont vraiment retenu mon attention et fait déferler les émotions.
La première de ces chansons est la plus connue de Léo Ferré, Avec le temps. Chanson magnifique, qui me donne toujours des frissons, et qu’elle interprète à merveille. Les deux autres sont des titres de Brel : les vieux amants tout d’abord, que chante Gréco avec à coté d’elle, au piano, le compositeur de la chanson, Gérard Jouannest, qui est aussi son compagnon. Résonance particulière liée à cette proximité. Enfin, le grand moment a été atteint avec l’interprétation de J’arrive, autre chanson de Brel composée par Jouannest. Entendre cette femme de plus de 80 chanter à la mort que ses « amitiés sont en partance » et qu’elle « n’a jamais fait qu’arriver » auprès d’elle m’a ému aux larmes. Alors que la version de Brel fait ressentir une certaine urgence, Gréco a pris le temps d’installer la chanson, comme si elle était prête à subir ce qui l’attend. Pas de peur ou de crainte, mais une forme de sérénité troublante. A l’inverse, sa version de Ne me quitte pas était beaucoup plus violente et tourmentée que celle de Brel, où on le sent abattu. Le travail sur les lumières était formidable, et ce fut vraiment un magnifique moment, émouvant à souhait.
Simplement accompagné d’un piano (Gérard Jouannest) et d’un accordéoniste (dont j’ai oublié le nom, qu’il m’en excuse), Juliette Gréco donne à toutes ces chansons une dimension supplémentaire, soit par leur nouveauté, soit par la nouvelle consistance qu’elle parvient à leur donner. Si jamais vous avez la possibilité de voir prochainement cette grande artiste sur scène, ne vous privez pas car c’est vraiment un moment magnifique.
Et j’embrasse amoureusement celle qui m’a fait ce merveilleux cadeau…