Nicolas
Sarkozy, lors de la campagne présidentielle, a fait beaucoup usage de références historiques parfois logiques et attendues (De Gaulle, Verdun,...), mais aussi surprenantes, les plus fameuses
étant celles de Jaurès et de Guy Môquet. Avec l'aide des éditions Agone, le collectif de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH), qui s’exprime notamment contre les lois dites
mémorielles et plus largement contre toute intrusion politique dans le travail de l’historien, reprend les thèmes ou personnages utilisés par Sarkozy dans ses discours lors de la campagne de
2007, et confronte l’utilisation politique qui en est faite avec la vision des historiens.
Une préface introduit le texte, et l’un des éléments les plus marquants est le classement des références par nombre d’itérations : le personnage historique le plus cité est Jaurès, devant De Gaulle, Ferry et Blum. Trois de gauche, pour un de droite. Première surprise de taille. Ce qui participe au brouillage du clivage droite / gauche, sur lequel joue Sarkozy. Un autre point de cette préface met le doigt sur la volonté de non-repentance de Sarkozy face à l’histoire. Il prend ainsi le contre-pied de Chirac, qui avait reconnu le rôle de la France dans les déportations. Surtout, et ceci est flagrant à la lecture des articles qui suivent, on voit que Sarkozy fait un usage quasi marketing de l’histoire, en associant selon ses besoins des personnages qui n’ont rien à voir entre eux, et que parfois tout oppose, hormis le fait d’être français. Une des phrases souvent citée décrit la France comme celle « de Saint-Louis et de Carnot, celle des croisades et de Valmy, celle de Pascal et de Voltaire, celle des cathédrales et de l’Encyclopédie, celle d’Henri IV et de l’Edit de Nantes ». Par cette accumulation, qui n’interroge pas les faits mais ne fait que les juxtaposer, Sarkozy (et les rédacteurs de ses discours) essaie de donner son idée de la Nation, qui ne semble pas réellement faite d’histoire.
Par la suite, chaque thème est décliné, comme dans un dictionnaire, par différents historiens, selon leur spécialité. On y trouve des hommes de droite (De Gaulle, Barrès), de gauche (outre ceux
déjà cités, Clemenceau), des rois de France ou des empereurs (Charlemagne, Napoléon, Napoléon III), des historiens ou des philosophes (Marc Bloch, Condorcet). De nombreuses entrées sont liées à
des thèmes, comme communautarisme, Fin de l’histoire, ou à des événements (Révolution Française, Commune, Vichy).
J’ai noté quelques passages très intéressants qui donnent un éclairage instructif sur l’utilisation que fait
Sarkozy de l’histoire, et sur sa manière de penser. L’article sur l’Afrique reprend son discours de Dakar, et dénonce plus largement la vision fantasmée que Sarkozy a de ce continent, parlant à
plusieurs reprises de terre « mystérieuse », de « sagesse ancestrale » ou d’ « âme africaine ». Il ne manque plus que « les Africains jouent bien au foot
et ont le rythme dans la peau » ! Liée à sa volonté de ne pas se repentir des méfaits de la colonisation, l’auteur y dénonce les relents colonialistes de ces discours. Dans « les
Croisades », Françoise Micheau met en question l’opposition faite par Sarkozy entre une histoire de droite et une histoire de gauche, entre lesquelles il n’hésite pas à décrire un mur
infranchissable, hermétique. Frontière une nouvelle fois fantasmée, car les historiens ont leur préférence et leurs interprétations, personne ne nie les conséquences historiques des Croisades ou
de la Commune.
En fait, ce sont généralement les articles les plus généraux (comme Féodalités ou Lutte des classes) que j’ai trouvé les plus intéressants, car ils explorent non seulement les approximations ou
les omissions historiques, mais surtout ils montrent la cohérence conservatrice des discours de Sarkozy. Il ne voit l’histoire que par des figures, et non par un déroulement logique de faits.
Comme s’il avait l’intention de mettre sous le tapis l’histoire de France. Les personnalités sont constamment rattachées à leur région d’origine, pour flatter l’auditoire (Godefroy de Bouillon à
Metz, Kléber à Strasbourg, Jean Moulin à Lyon) et jamais remises dans leur contexte politique. Ceci est flagrant pour Jaurès et Blum, que Sarkozy utilise en dépit des réalités historiques, mais
également pour Jules Ferry, dont il ne garde que la loi sur l’école et laisse de côté sa politique coloniale (comme tout le monde, d’ailleurs). Les personnalités historiques sont là pour un
panthéon, et rien ne sert de vouloir comprendre pourquoi elles y sont, l’objectif étant de créer chez l’électeur un lien culturel et psychologique suffisant pour qu'il glisse le bon bulletin dans
l'urne. Malheureusement, Sarkozy semble y être arrivé…
Sur Jaurès, voir ce billet consacré au
Découvertes Gallimard signé Madeleine Rebérioux.
Comment Nicolas Sarkozy écrit l'histoire de France, sous la direction de L. De Cock, F. Madeline, N. Offenstadt, S. Wahnich
Ed. Agone - Comité de vigilance des usages publics de l'histoire