Lamia est infirmière à Alger. Femme seule dans un pays en proie aux furies des intégristes, elle rumine son passé : la mort de ses parents, celle de sa sœur, et le départ de Sofiane, son frère. Ce dernier a décidé de quitter la vie algérienne pour tenter sa chance en Europe : il est devenu harraga, brûleur de routes, un parmi tant d’autres qui attend certainement à la frontière de pouvoir traverser le détroit de Gibraltar. Mais la vie de Lamia est bouleversée par l’arrivée de Chérifa, jeune fille très vive, enceinte, envoyée à Alger par Sofiane. Lamia renaît, avec cette arrivée inattendue dans sa triste vie.
Harraga n’est pas un roman facile. Il traite d’un sujet sensible, la fuite des jeunes algériens vers les contrées jugées plus clémentes de l’Europe. C’est aussi la description d’un pays au bord de la rupture, l’Algérie prise entre les restes de l’occupation française et la montée des islamistes, prise dans les rivalités entre les différentes contrées (Alger vs Oran), où les femmes sont abandonnées à leur sort et où rien ne semble pouvoir les aider.
Lamia, pour (sur)vivre, s’appuie sur sa maison, cette maison qui a vu passer tant d’hommes d’origine différentes, qui est à elle seule une métaphore de deux siècles d’histoire de l’Algérie : le turc, l’acheteur revendeur qui réussit à rouler dans la farine ses clients,… Cette maison, seule point de repère de Lamia, est bousculée par Chérifa, jeune adolescente pleine de vie, qui la met sens dessus dessous. Et comme la maison, Lamia subit les bourrasques de cette furie.
On ne sait pas vraiment qui est Chérifa. Elle va, elle vient, elle exaspère Lamia en même temps qu’elle lui est indispensable. Chérifa n’hésite à rendre visite à Barbe Bleu, le voisin d’en face qui est un grand mystère pour Lamia.
Surtout, Boualem Sansal signe un roman politique. Roman, car les dimensions de la fiction et l’intérêt pour les héros existent : on se demande ce que vont devenir Lamia et Chérifa, si Sofiane pointera à nouveau le bout de son nez. Mais politique car l’auteur n’hésite à défendre sa thèse, à décrire le calvaire que vivent les africains, rien que pour atteindre la côte Nord du Maroc. Pour cela, il décrit sur de nombreuses pages un reportage que Lamia voit à la télé sur les multiples dangers et les risques que prennent les candidats à la clandestinité, souvent clandestin bien avant leur arrivée en Europe. Car un malien en Algérie n’est pas forcément le bienvenu, loin de là. Et Lamia est happée par ce reportage, cherchant désespérément des yeux la silhouette de son frère dans la foule.
Harraga est un beau roman, qui se laisse apprécier à petites bouchées, car cette histoire est rude, dif ficile à entendre. Je suis heureux d’avoir croisé le chemin de ce roman, et je remercie pour cela Emmyne, pour qui c’est le choix dans la Ronde des livres. Et je remercie bien entendu Ys pour avoir organisé avec maestria cette grande opération de découverte d’auteurs qui démarre sur de très bonnes bases.
"La culture est le salut mais aussi ce qui sépare le mieux"
Boualem Sansal, Harraga
Harraga, de Boualem Sansal
Ed. Folio