Jonas est un adolescent paumé. Elève médiocre, on lui propose une orientation en filière professionnelle, qu’il refuse. Et il est obligé de prendre du recul par rapport à sa
passion, le tennis, car il n’arrive pas à gérer son stress. Avec des parents démissionnaires, son seul salut passe par l’intérêt que lui porte les amis de sa mère, Pierre, Didier et Nathalie.
Mais cet intérêt dépasse largement le seul cadre scolaire, chacun essayant de faire part à Jonas de ses propres expériences, parfois très intimes.
Joachim Lafosse, déjà réalisateur de Nue propriété, signe un film troublant et assez dérangeant. Troublant, car
on suit la vie de ce jeune homme, dans une phase d’apprentissage, de transformation, avec toutes les interrogations liées à cette époque de changement. Jonas, garçon paumé, obligé de se prendre
en main, n’a pas la maturité pour faire face aux épreuves qui l’attendent.
Surtout, ce film est dérangeant à cause de l’attitude des adultes. La mère de Jonas est loin de chez elle pour
des raisons qui ne sont jamais explicitées, son père en veut à son ex-épouse d’avoir dû lui laisser la maison et ne souhaite pas servir de pompe à fric. Mais au-delà des seuls parents, c’est
surtout l’attitude des amis qui est troublante. Le premier repas auquel on assiste donne le ton : Nathalie interroge Jonas sur ses expériences sexuelles, en l’incitant à passer à la
pratique. Et tout du long du film, Jonas raconte à ceux qu’il considère comme ses amis sa relation avec Delphine.
Ce qui est difficile dans ce film est de cerner les raisons pour lesquelles ces adultes troublent cet adolescent. En fait, ils ne cherchent pas à le troubler volontairement : leur but est de
transmettre à Jonas leur expérience, de lui faire part des étapes par lesquels ils sont passés, et qu’ils voudraient lui faire éviter. Inévitablement, Jonas grandit trop vite, ne passant pas les
étapes que chaque adolescent rencontre, et est désorienté. C’est donc toute une réflexion sur la transmission, sur le rôle des adultes vis-à-vis des plus jeunes que mène ici Joachim Lafosse. Et
c’est cette manipulation inconsciente qui est vraiment l’élément dérangeant du film, et non ce qui se produit par la suite, lorsque les adultes vont au bout de leur apprentissage. Car si
Jonas est perdu, ces adultes se révèlent rapidement victimes de cette situation trouble.
Le film est donc très fort sur son sujet, et admirablement servi par de très bons acteurs. Le jeune Jonas Bloquet, dont c’est le premier film, est de tous les plans et incarne de manière très
forte cet adolescent paumé, aux rires nerveux et aux illusions perdues. Pour les adultes, on retrouve Yannick Rénier, qui a déjà tourné avec Joachim Lafosse pour Nue Propriété, sa compagne à la
ville et à l’écran Claire Bodson, et surtout Jonathan Zaccaï. Longtemps présenté comme un jeune prometteur, il est ici d’une maturité surprenante, dans ce rôle d’un cadre du privé finalement
aussi perdu que Jonas.
Ce n’est pas un film facile qu’Elève libre, mais qui permet d’aborder de manière frontale les questions relatives à la transmission, à la déception, à la perte d’illusions. Joachim Lafosse
confirme donc avec ce film tout le potentiel repéré dans le déjà troublant Nue propriété, qui analysait une famille en décomposition (avec Isabelle Huppert, Jérémie Rénier, Yannick Rénier et
Patrick Descamps, entre autres). Un film dont l'aspect troublant reste dans l'esprit, tout en évitant le vulgaire gratuit. Ce qui est une vraie performance !