La Comédie Française a programmé cette année une nouvelle mise en scène de l’Illusion Comique. Cette
pièce de Corneille date de 1636, et a été publié juste avant Le Cid. Qualifiée de baroque et hommage au théâtre, elle n’a pas été jouée dans l’enceinte du Palais-Royal depuis … 1937 et
une mise en scène de Louis Jouvet ! Mais venons-en à cette nouvelle version.
Pridamant recherche son fils, Clindor, qui a quitté le domicile parental. Pour l’aider à savoir ce que son fils
est devenu, il s’adresse à Alcandre, mage capable de lui montrer le parcours de son fils. On retrouve ainsi tout d’abord Clindor en valet de Matamore, homme aux exploits célèbres mais un brin
mégalomane. Clindor est aimée de Lyse, mais il aime Isabelle. Ce triangle amoureux, suite à de multiples péripéties, envoie Clindor en prison, d’où il parvient à s’échapper et à construire une
nouvelle vie…
Je n’en dis pas plus pour conserver la surprise à celles et ceux qui ne connaissent pas la pièce. Corneille,
s’il a vécu à la même époque que Racine, n’applique pas les codes du théâtre classique : pas d’unité de lieu, ni d’action. Ce qui donne à cette pièce un souffle et une modernité appréciable.
De plus, les vers de Corneille sonnent plus naturels à l’oreille que ceux de Racine. Il y a un effet de réel qui fait que le spectateur ne se sent pas éloigné de cette histoire d’il y a quatre
siècles. Et surtout cette pièce est un hommage au théâtre, avec une dernière tirade que tous les étudiants en lettre devraient connaître par cœur !
Et cette nouvelle mise en scène, alors ? Signée Galin Stoev, elle est assez surprenante. Tout d’abord,
c’est le décor qui saute aux yeux. En lieu et place de la grotte du mage, on découvre une pièce en construction, avec des ouvertures, des fenêtres, des panneaux qui coulissent. Le lieu n’est pas
très attirant, et j’avoue avoir eu du mal à comprendre la nécessité d’un tel écrin. Surtout que la lumière au néon n’est pas très heureuse. Les costumes des acteurs sont modernes et souvent dans
les tons gris, seules les robes des deux actrices, d'un rouge vif, donnent de la couleur sur la scène.
Au niveau des acteurs, il est à noter la surprenante mais très amusante prestation de Denis Podalydès, qui interprète un Matamor loin des images habituelles. Rien que son physique instaure une distance entre ce que le lecteur se figure et ce qu’il voit sur scène. Et dans le jeu on découvre Matamor pleutre, presque névrosé. Pour le reste de la troupe, c’est un peu inégal. Les demoiselles Julie Sicard et Judith Chemla s’en tirent bien, comme Loïc Corbery en Clindor ou Hervé Pierre en Alcandre. En revanche, le personnage du père, Pridamant, joué par Alain Lenglet, m’a laissé très perplexe. Le père inquiet pour son fils, au lieu de faire paraître cette angoisse, m’a paru distant. Souvent les mains dans les poches, il est en dehors de l’action qui se déroule devant ses yeux. Peut-être l’acteur était-il malade, sinon j’ai du mal à comprendre le choix du metteur en scène.
Et question choix, il y en a un autre très discutable. Quelques acteurs jouent plusieurs personnages. Si la séparation Clindor / Dorante (personnage secondaire) est sans ambiguïté, le reste peut mettre le spectateur sur de mauvais rails. Par exemple, Hervé Pierre passe du rôle d’Alcandre à celui de Géronte sans sortir de scène, ni changer de costume. Ce qui laisse le spectateur bouche bée quelques instants, le temps de comprendre le subterfuge.
Voilà donc une très belle pièce de Corneille, dans une mise en scène qui a des défauts mais n’est pas sans
intérêt. Et qui est loin de mériter les nombreux articles qui la descendent en flèche.
A noter, mais c’est mesquin de ma part, qu’une des actrices n’a pas laissé son camarade finir une de ses répliques. C’est rassurant de voir que cela arrive aux meilleurs ;-)
PS : Question aux connaisseurs de la pièce : à la sortie, j’ai eu une discussion avec mon accompagnatrice du soir sur la signification de la pièce. Il y a bien entendu
du théâtre dans le théâtre, mais nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord sur le moment où commence la mise en abyme : Dès l’intervention du mage ? Après l’évasion ? Si mon
idée de la pièce correspond à la seconde possibilité, celle de mon accompagnatrice (et visiblement du metteur en scène) est la première solution. Si quelques uns pouvaient me donner leur avis et
leur vision des choses, cela me serait bien utile…