Après une première expérience avec Lyonel Trouillot loin d’être concluante, j’ai donné une seconde chance à l’auteur avec un roman plus engagé. Avec aussi un
roman qui entrait dans le thème du Club des théières (L’anniversaire). Et je me suis réconcilié avec cet auteur haïtien (je n'étais pas non plus très fâché, en fait).
2004. La république d’Haïti fête le bicentenaire de sa fondation. A cette occasion, un étudiant prend part aux manifestations qui demandent la démocratisation du pays. Mais le pays, ses dirigeants et une grande partie de la population ne sont pas prêts à ce type de protestation, et le tout se termine dans des combats violents entre l’armée, les bandes payées par le gouvernement et les manifestants.
Pas de suspense dans ce roman. Dans un rapide prologue inspiré des avertissements cinématographiques (Toute coïncidence avec des personnages ou des faits…), Lyonel Trouillot annonce que l’étudiant, personnage central du roman, meurt à la fin du récit. C’est "chronique d’une mort annoncée" dans une manifestation. Le court roman présente donc la journée de l’étudiant, et parvient en quelques pages à dresser un portrait d’Haïti.
Ce portrait du pays passe par la présentation de la famille du héros. Il y a le petit, son frère cadet, jeune homme sans rêve et sans illusions, à l’opposé de son frère, qui prend un chemin
complètement différent, entre violences et désespoir. Souvent au cours de la journée, l’étudiant se souvient de propos de sa mère, Ernestine Saint-Hilaire. Ses aphorismes parcourent le récit et
donnent une couleur locale tout à fait agréable.
Plus largement, Lyonel Trouillot confronte le lecteur aux inégalités qui touchent le pays. Notre héros est ainsi employé par un médecin pour donner des cours à son fils, un abruti gavé de consoles vidéo et incapable de se prendre en main. Et cet épicier, coincé entre sa femme et son magasin, donne encore une autre vision du pays.
Il y a enfin la touche Trouillot : le fantasme de l’étudiant pour une journaliste étrangère croisée et dont il est tombée amoureux sur le coup. Ce rêve va suivre l’étudiant pendant toute la manifestation, car il espère, dans la foule, pouvoir la retrouver. Cette recherche ira même jusqu’à l’aveugler, au point qu’il ne réalisera pas la violence qui l’entoure.
Le tout est écrit dans un style très poétique, avec une alternance de phrases longues et courtes, et cela donne un rythme très plaisant, même s’il est parfois compliqué de s’y retrouver au sein d’un même chapitre. La narration passe facilement d’un fait à un autre, avec des transitions telles qu’on se demande comment on en est arrivé à ce point du récit. Le tout est loin d'être optimiste, chacun préférant se retrancher dans sa misère personnelle et s'en remettre à la fatalité. Et pour les rares qui osent se lever contre le pouvoir, cela ne se termine pas très bien...
Voilà donc une jolie découverte que ce roman, qui m’incite à poursuivre la découverte de l’auteur, et surtout de ses récits historiques et engagés.
Sylvie en a parlé.
Autre roman de l'auteur : L'amour avant que j'oublie (sélection prix Biblioblog 2008)
Bicentenaire, de Lyonel Trouillot
Ed. Babel