Giovanni Drogo, jeune soldat, est affecté au fort Bastiani. D’abord heureux de quitter l’école militaire, il réalise que le fort est installé à l’autre bout du pays, à la frontière avec le pays des Tartares. Surtout, celle-ci n’est pas menacée, un large désert séparant les deux pays. Après avoir souhaité partir au bout des quatre mois réglementaires, Giovanni se retrouve prisonnier du fort. Non pas un prisonnier enfermé contre sa volonté, mais un prisonnier inconsciemment volontaire. Giovanni reste au fort, et son action va paradoxalement tourner autour de l’attente : celle de l’action, de l’arrivée de l’ennemi, là-bas, au bout du désert…
Ce qui est épatant dans cette œuvre, c’est que Buzzati écrit un roman sur l’attente. Il se passe très peu de choses, mais aucune des pages n’est superflue. On y sent le temps qui passe, inexorablement, et avec lui les rêves et les espoirs de Giovanni.
Le début du roman marque d’emblée cette attente : il faut en effet deux jours à Giovanni pour rejoindre le fort, situé aux confins du pays, à travers la montagne. Et dès ce voyage, on pressent que le héros y restera longtemps, beaucoup plus longtemps qu’il ne l’a prévu. Cette scène est d’ailleurs reprise en écho à la fin du roman, avec Giovanni qui accompagne un jeune soldat affecté au fort, comme si le temps avait passé sans que rien ne change.
Deux scènes du livre, qui se répondent d’ailleurs, m’ont particulièrement marqué. La première est le rêve que fait Giovanni, dans lequel il pressent la mort d’Angustina. La description de ce chariot aérien qui vient prendre le camarade de Giovanni est très réussie et évocatrice. Par la suite, la scène de la mort d’Angustina m’a également interpellé.
L’aspect le plus étonnant, finalement, est qu’on assiste à une multitude d’épisodes de la vie du fort (l’affaire du cheval apparu dans le désert, la lumière et la construction de la route, les visites de Giovanni en ville), et que Buzzati parvient à transmettre l’unité qui régit toutes ces situations distinctes : l’attente de l’élément perturbateur, qui va enfin sortir le fort de sa torpeur. Avec un sentiment de frustration très fort pour Giovanni, qui quitte le fort au moment où cette attente pourrait enfin être comblée.
A noter, à propos de ce roman, la chronique (classique) signée par Laurence, mais surtout le très signifiant parallèle qu’elle a trouvé entre cette œuvre et une chanson de Brel, Zangra. Tout cela lors du crossover organisé par le camarade Thom. Une vraie réussite que cette étude comparée !
Le désert des Tartares, de Dino Buzzati
Traduit de l'italien par Michel Arnaud
Ed. Pocket