Les frères Luc et Jean-Pierre Dardenne sont impressionnants : à chaque fois qu’ils réalisent un nouveau film, ils sortent un chef d’œuvre. Et le dernier de la liste n’a rien à envier à ses glorieux prédécesseurs (Rosetta, Le fils, L’enfant, pour ceux que j'ai vus).
Lorna, une jeune albanaise, est mariée à Claudy. Pas par amour, mais pour obtenir la nationalité belge. La pièce d’identité lui permettra à la fois de s’établir en Belgique où elle rêve d’ouvrir un snack avec son ami Sokol, mais aussi de monnayer un mariage avec un étranger, afin qu’il prenne à son tour la nationalité belge. Mais quand on est en cheville avec la mafia, il y a toujours un moment où on doit payer ce qu’on a obtenu, surtout lorsqu’on veut détourner ce qui était prévu…
L’intrigue, comme souvent, tient en quelques lignes. Il est toutefois notable que le scénario est cette fois plus construit, avec un virage au milieu du film relativement inattendu qui a sur Lorna un impact décisif. Cela permet de montrer l’évolution complète de cette fille, d’abord soumise à ses commanditaires, puis qui prendra petit à petit des initatives, pas toujours heureuses d’ailleurs.
En plus du scénario, les Dardenne ont ici une manière de raconter l’histoire de Lorna et de Claudy tout à fait saisissante. La narration est constituée d’ellipses qui donnent tout son rythme au film. Ainsi, lorsque Lorna se rend pour la seconde fois au commissariat, on n’assiste pas à la confrontation avec les policiers, mais les réalisateurs glissent dans le cadre de la caméra le nécessaire pour que le spectateur comprenne ce qui s’est passé. Ces ellipses, fréquentes dans le film, sont également en adéquation avec la fin du film, que je ne dévoilerai pas ici, mais qui amène beaucoup d’interrogations…
L’autre force des frères Dardenne est leur direction d’acteurs : non seulement, ils s’appuient sur une bande qui revient régulièrement (notamment chez les garçons, avec Jérémie Rénier ou Olivier Gourmet), mais ils arrivent également à faire émerger à chaque fois un nouveau visage qui marque le spectateur. Après avoir lancé Jérémie Rénier et participé à la confirmation d’Olivier Gourmet, ils ont imposé sur les écrans Emilie Dequenne, Déborah François et maintenant Arta Dobroshi. Cette jeune actrice est totalement convaincante ici, dans un rôle qui mêle résignation et colère, envie de se battre et soumission. Une actrice à suivre de près. L’autre point positif est la confirmation du talent de Jérémie Rénier. J’appréciais déjà le parcours de l’acteur (Violence des échanges en milieu tempéré, Nue propriété, L’enfant) mais c’est la première fois que je le sens si poignant dans un rôle. La transformation physique subie (il a l’air cadavérique sur les premières images) participe pleinement à cette impression de nouveauté.
Bref, un film fort, qui marque une évolution dans la filmographie des Dardenne (finie la caméra qui donne à certains le mal de mer) mais qui contient tous les aspects qui font la force de ce type de cinéma, social, humain et très construit. A vraiment aller voir.