Avec Entre les murs (et La frontière de l'aube de Philippe Garel), le dernier
film d'Arnaud Desplechin (le frère de Marie, la romancière) était un des films français présentés à Cannes. Il n'est pas reparti totalement bredouille, puisqu'il a permis au jury d'offrir un prix
spécial à l'une des actrices du film, Catherine Deneuve. Et surtout, il est sorti en salles avant la remise des prix, ce qui a permis de se faire sa propre idée auparavant. Et de savoir
de quoi on parle, puisqu'on l'a vu. Contrairement à Entre les murs, que personne n'a vu, mais que beaucoup ont déjà jugé (je parle du film, pas du livre). Mais je m'égare, et
revenons à notre féerie roubaisienne.
Pourquoi roubaisienne ? Car c'est le sous-titre du film, et car c'est là que se situe l'action du film. Dans une grande demeure, habitée par Abel et Junon. Malheureusement, Junon est atteint
d'une maladie grave, et espère qu'un de ses trois enfants encore vivants, ou un de ses petits-enfants, sera compatible pour une greffe. La maladie de Junon est donc une occasion rare de réunir
toute la famille : la fille aînée et son fils dépressif, le frère banni par sa soeur, et le benjamin insouciant.
Arnaud Desplechin s'accompagne de sa troupe habituelle, à laquelle il adjoint quelques nouveaux venus, comme Anne Consigny. Dans ce film familial, le réalisateur essaie de figurer les
rouages qui peuvent amener une famille à avoir des relations conflictuelles. Entre le poids du frère aîné mort à six ans et que personne n'a pu sauver, les amours enfouis et les haines
incomprises, des fantômes hantent ce film. Mais ces fantômes restent invisibles, et découvrir la source du malaise est presque impossible.
Quelques uns essaient de se voiler la face, jusqu'à l'explosion, comme Hippolyte Girardot (le mari de la soeur ainée). D'autres continuent à vivre, sans se poser trop de questions, comme
Melvil Poupaud le benjamin, ou Emmanuelle Devos, la nouvelle compagne du cadet. Et il y a ceux au centre du conflit, Anne Consigny et Matthieu Amalric, la soeur et le frère qui se détestent. Au
dessus, les parents essaient de coller les morceaux, tant bien que mal.
Ce film parle de la transmission, de parents à enfants mais aussi d'enfants à parents. Parle d'amour, parfois en l'abordant par la haine, mais ce n'en est que plus troublant. Ainsi, lorsque la
mère dit ne pas aimer son fils, et que celui-ci lui annonce que c'est réciproque, la situation est tragique et burlesque, mais elle questionne sur notre rapport à l'amour. Surtout
l'amour familial : est-il normal ? Est-il dû ? Est-ce une honte de ne pas aimer sa famille proche ? Questions qu'il m'arrive parfois de me poser...
La force de Desplechin est également d’insinuer beaucoup de rires et de sourires dans cette histoire très sombre. Les personnages, notamment celui de Matthieu Amalric, sont tellement outrés
qu'ils en sont drôles. Il y a bien une petite longueur sur une histoire annexe avec Chiara Mastroianni, mais c'est vraiment le seul reproche que je ferais. Tous les acteurs sont d'ailleurs
formidables, avec une palme à Jean-Paul Roussillon, émouvant en père perdu entre des enfants qui ne s'aiment pas et une femme capricieuse, mais qu'il aime profondément. Cela se sent à l'écran
!
Je ne suis pas sorti bouleversé du film, mais il a mûri et après une semaine d'infusion, je pense que c'est un grand film. Pas d'esbroufe, juste des humains, qui se battent comme ils peuvent.
Vraiment, un film à voir ! Et certainement à revoir !
Et le joli commentaire de Rob Gordon ici .