Quoi de plus intéressant pour un blog qui parle de livre et de cinéma qu'un film basé sur un roman ? Et qui reçoit la palme d'or au festival de Cannes ?
D'autant plus lorsqu'on connaît l'oeuvre originale (Entre les murs de François Bégaudeau) et qu'on a une affection pour le réalisateur (Laurent Cantet qui a signé le remarquable
Ressources humaines, qui a permis de découvrir Jalil Lespert) ? Pas grand chose me direz-vous ? Et je suis bien d'accord.
Comme je n'ai pas le privilège d'assister aux projections cannoises, je ne peux pas vous parler du film qui n'est pas encore sorti en salles. Mais je peux vous
parler du livre que j'ai lu l'an dernier, mais dont je n'ai pas parlé ici, car lu avant l'ouverture de ce blog.
Entre les murs est une fiction avec une base autobiographique. Pour être plus clair, François Bégaudeau a été professeur pendant presque dix ans en
collège, et il raconte la vie d'une classe de ZEP tout au long de l'année scolaire. Bien sûr, il utilise certainement des anecdotes ou des situations vécues mais tout ceci est une fiction.
Nous ne sommes pas ici en présence d'un travail documentaire ou d'un étude sociologique (pas plus que le film d'ailleurs).
Entre les murs, car l'auteur prend le parti de ne décrire que ce qui se passe dans le collège : pas de présentation des vies personnelles en dehors de ce
qui se dit en salle des professeurs, les vacances ne sont considérées qu'en tant que cible à atteindre, etc. L'action se déroule donc entre salle de classe et salle des
professeurs : on est dans un monde clos, parfois un peu enfermé, mais où transparaissent toutes les composantes de la société actuelle : les problèmes familiaux, sociaux, les
difficultés liées au racisme,... Ce lieu, même s'il est fermé, est le réceptacle de toutes les tensions sociales.
Le narrateur est ici le professeur, qui parle alternativement de sa classe ou de ses collègues. Il est parfois distant, parfois cynique, et n'hésite pas à
charrier les élèves. Pourtant, je ne peux pas dire que j'ai senti de l'antipathie de la part de ce prof vis à vis de ses élèves : j'ai trouvé qu'il avait avec eux un rapport d'adulte, qu'il
n'essayait pas d'être misérabiliste. Cette forme de relation, parfois grinçante, est plutôt une façon pour le prof de se protéger face aux élèves et, pour certains d'entre eux, leur détresse
sociale. En revanche, le fait de toujours identifier les élèves par leurs vêtements a un côté répétitif qui devient lassant.
Mais ce que j'ai trouvé encore plus intéressant dans ce livre, c'est la vie dans la salle des professeurs. On se rend compte que ce métier est dur, usant. Même en
le prenant un peu légèrement comme ici, c'est fatigant de tenir la distance face à des classes de 25, de trouver la bonne réplique au bon moment à chaque instant. On y voit également la
difficulté de travailler ensemble et surtout, j'y ai senti que Bégaudeau détruit un mythe qui a actuellement la vie dure : non, on ne devient pas enseignant par vocation. Pas plus qu'on ne
devient inspecteur des impôts ou éboueur pour cette raison ! La majorité des profs qui sont là le sont pour avoir de quoi remplir la gamelle, et seraient bien ailleurs s'ils le
pouvaient.
Je sais que ce livre est loin de faire l'unanimité, dans le corps enseignant notamment (je n'en fais partie mais le connaît relativement bien), mais je trouve qu'il
a le mérite d'ouvrir des débats intéressants. Il ne faut pas tant y voir une aggression contre le métier d'enseignant, ou contre les enseignants, qu'une tentative de description de ce
métier si particulier. Description parfois outrée, bien entendu, comme tout ouvrage de fiction. Car ce livre est avant tout une fiction, et je l'ai pris comme cela. Bien sûr, il a
quelques défauts, mais ils ne sont pas rédhibitoires. Et, même si c'est une fiction, j'ai refermé ce livre avec le sentiment d'avoir appréhendé une réalité qui m'avait jusque là
échappée. Ce qui est un très bon point pour un roman.
Thom en a parlé, mais il a beaucoup moins aimé (c'est peu dire !), et Sylvie avec qui je serai plutôt d'accord.
Entre les murs, de François Bégaudeau
Ed. Verticales