
L'autre jour, en me promenant à la médiathèque,
j'aperçois dans un bac ce titre, Maus. J'en avais beaucoup entendu parler en bien, et c'est donc avec un a priori positif que je l'ai mis dans mon sac.
Art Spiegelman raconte dans cette BD en deux tomes l'histoire de son père, juif polonais qui voit l'Allemagne nazie s'agrandir puis envahir son pays nouvellement créé suite au Traité de
Versailles. On suit les parents de Art, Vladeck et Anja, qui essaient de survivre comme ils peuvent. On les suit dans le premier tome, entre 1939 et 1944, ils quittent leurs habitations
pour habiter dans des quartiers juifs, vite transformés en ghetto, sont spoliés de tous leurs biens. Les conditions de vie y sont de plus en plus difficiles, et ils finissent par y
vivre cloîtrer pour échapper aux rafles. Mais dénoncés, les membres de la famille vont un à un être envoyés dans les camps d'extermination.
Le second tome met l'accent sur la vie de Art et de Anja dans le camp d'Auschwitz. Même s'ils sont séparés car les hommes et les femmes vivent dans des camps différents, ils parviennent à garder
contact tant bien que mal.
Toute une autre partie de l‘ouvrage est consacrée à la façon dont Art a recueilli le récit de son père : les difficultés pour faire parler un homme malade, la stupeur lorsqu'il apprend que son
père a brûlé le journal écrit pendant la guerre par sa mère décédée. Chaque chapitre est ainsi encadré par ces retours à la réalité.
Il y a également des réflexions sur la représentation des personnages : Spiegelman choisit en effet de représenter chaque nationalité par un animal : les allemands sont des chats, les français
des grenouilles, les américains des chiens, les polonais des cochons. Et il décide aussi de dessiner les juifs d'une autre manière : en souris. Les juifs sont donc de suite reconnaissables. Ce
qui permet de montrer que dans les camps, il n'y avait pas que des juifs, et que des juifs ont participé aux rafles dans les ghettos polonais. Manière très habile et subtile d’appuyer son propos.
Et manière un peu polémique de montrer que les juifs étaient d’abord considérés comme juifs et non comme allemands, français ou polonais.
Ce témoignage sur la vie des juifs polonais est assez troublant pour un français lambda, car si notre connaissance sur la situation des juifs français pendant la guerre est plutôt bonne
aujourd'hui, celle des juifs polonais et de leurs conditions de vie abominables est plus floue. Roman Polanski a décrit une partie de cette histoire dans son film Le Pianiste, mais les
sources grand public sur cette partie de l'histoire sont relativement minces. Ainsi, le récit de Vladek illustre combien les combines, les connaissances et aussi la richesse (au moins
au début de la guerre, tous les juifs ayant rapidement été spoliés) ont pu constituer des éléments importants pour la survie.
C'est donc un témoignage important qu'offre Art Spiegelman dans cette bande dessinée. Ce livre a d'ailleurs le Prix Pulitzer en 1992, soit un peu l'équivalent d'un Goncourt. Ce qui parait
inimaginable pour un auteur de BD français !